Il serait impossible à cette entreprise de le faire si elle était assujettie à la loi québécoise qui, elle, l’interdit depuis 1977.
Personne, absolument personne, n’a ultimement intérêt à ce qu’un conflit de travail s’éternise. Le Québec l’a compris depuis longtemps. C’est parce que des conflits de travail perturbaient de façon importante le monde du travail dans les années 70 – certains d’entre nous se souviendront du long conflit à la United Aircraft de Longueuil où s’exercera de la violence – que le gouvernement de René Lévesque modifie le Code du travail pour interdire les briseurs de grève en 1977 afin de rétablir l’équilibre dans les négociations.
Une conséquence? Les conflits de travail au Québec durent deux fois moins longtemps que dans les provinces canadiennes qui n’ont pas cette disposition. C’est loin d’être insignifiant.
Tout le monde souhaite que les négociations de conventions collectives s’effectuent dans les meilleures conditions possibles, mais un conflit de travail est d’abord un conflit à régler, avec ses difficultés tant pour l’employeur et l’entreprise que pour les employés, leurs familles et leur communauté.
La Cour suprême du Canada a reconnu que le droit de grève est protégé par la Charte. C’est l’arme ultime des travailleurs. De leur côté, les employeurs peuvent procéder à un lock-out, la fermeture provisoire de l’entreprise. Dans les deux cas, ce sont des façons de mettre de la pression pour régler le plus rapidement possible le conflit. Mais si l’entreprise peut embaucher des travailleurs de remplacement pendant le conflit, un déséquilibre est créé et cela ne règle rien, comme le prouve la situation des employés de Groupe Océan Remorquage à Sorel-Tracy.
Pourquoi le Groupe Océan Remorquage n’a-t-il pas à respecter le Code du travail québécois? Parce que les entreprises qui œuvrent dans les secteurs de compétence fédérale (comme les banques, les télécommunications, les ports, les chemins de fer ou le transport aérien) n’y sont pas assujetties. D’où l’importance de l’adoption de cette disposition dans la loi fédérale.
Le gouvernement de Justin Trudeau, appuyé par le NPD, a amorcé des consultations sur le sujet à l’automne dernier et promet de faire adopter une loi interdisant les briseurs de grève en 2023. Si le gouvernement est minoritaire à la Chambre des communes, il a l’appui pour le faire du NPD et du Bloc Québécois, qui exige ce changement à la loi depuis maintenant une trentaine d’années et qui rappelait la semaine dernière l’urgence d’agir. Le conflit qui touche une dizaine de travailleurs de Sorel-Tracy le rappelle. S’il a la volonté d’avancer rapidement, il aura aussi les votes.
Avec l’absence de dispositions anti-briseurs de grève dans la loi fédérale, les travailleuses et travailleurs du Québec ne sont pas tous égaux, car ils ne profitent pas tous des mêmes règles du jeu. Il est temps de régler cette question. Le Parlement fédéral doit adopter une loi en ce sens le plus rapidement possible. Tout le monde y gagnera.