Le 11 mai dernier, plusieurs orthopédagogues ont reçu une lettre signée de la main du directeur des Services de ressources humaines, Marc Vigneault, les avisant que la direction générale a recommandé de procéder à leur non-rengagement pour la prochaine année scolaire. Selon nos sources, elles sont neuf sur un total de 23 à être touchées par cette mesure.
La décision a été prise à cause de la pénurie d’enseignants qui force le CSS à revoir toutes les options pour récupérer des enseignants qualifiés. La piste retenue serait donc la possibilité de jumeler des tâches en enseignement au primaire avec des tâches en orthopédagogie, par exemple 80 % en enseignement primaire et 20 % en orthopédagogie. Au Québec, les orthopédagogues détiennent leur brevet d’enseignement.
Le CSS précise que cette réaffectation est « temporaire » et ne touchera que le « surplus » que les écoles auraient potentiellement voulu s’ajouter l’an prochain pour les différents services complémentaires en fonction des allocations que le ministère alloue aux centres de services scolaires du Québec.
« Sachez que ces mesures ne sont pas prises en adéquation avec la prestation de travail que vous, les orthopédagogues, offrez au quotidien, mais bien par notre volonté de trouver des solutions qui nous permettent d’offrir un service à l’élève juste et décent dans le contexte actuel », peut-on lire dans la lettre du CSS destinée aux orthopédagogues.
La directrice des Services du secrétariat général et des communications du CSS de Sorel-Tracy, Laurence Cournoyer, a précisé que la présence de 14,5 orthopédagogues sera assurée lors de la prochaine année scolaire dans les établissements primaires.
« Toutefois, il a été convenu, d’un commun accord et à l’unanimité avec les directions et les gestionnaires du Centre de services scolaire, de réaffecter de façon temporaire les postes en « surplus » de ce 14,5 à titre d’enseignement légalement qualifié dans les classes », précise-t-elle.
Selon le CSS, cela permettra d’atténuer les conséquences de la pénurie de personnel. « À elle seule, cette orientation permettra à plus de 200 élèves de bénéficier d’un enseignant également qualifié pour toute l’année scolaire 2023-2024 », avance Laurence Cournoyer.
Le CSS de Sorel-Tracy estime que pour l’année scolaire 2023-2024, il y aura environ 60 classes qui ne pourront pas bénéficier d’un enseignant légalement qualifié, ce qui représente approximativement 77 enseignants. À ce jour, pour l’année scolaire 2022-2023, 14 % de l’enseignement a été dispensé par des enseignants non légalement qualifiés.
« Ce chiffre est expliqué par la pénurie de personnel, par les absences et invalidités, ainsi que différentes demandes de congé partiel que le Centre de services scolaire doit accepter en vertu des différentes conventions collectives et ententes locales », explique Laurence Cournoyer.
Un torrent de contestations
Depuis cette annonce, les contestations ont fusé de toutes parts. Plusieurs membres du personnel, dont des orthopédagogues et des parents d’élèves, ont exprimé leur mécontentement notamment sur les réseaux sociaux, par l’entremise d’une lettre acheminée au CSS et une pétition en ligne.
Selon ladite lettre signée par plus de 220 membres du personnel, l’ajout d’heures – les « surplus » selon le CSS – en orthopédagogie a permis à plusieurs établissements scolaires d’augmenter la fréquence des interventions auprès d’élèves en difficulté. Selon les dernières études scientifiques, un élève en difficulté doit au minimum avoir trois interventions orthopédagogiques par semaine pour être considéré comme efficace.
Ainsi, sans l’ajout d’heures ou de surplus en orthopédagogie, plusieurs employés du CSS et parents d’élèves craignent que cette fréquence devienne inatteignable. De plus, ils avancent que la diminution d’offre de services aura des conséquences désastreuses chez les élèves à risque, sur la prévention et le dépistage, creusant l’écart entre les élèves qui réussissent et ceux qui échouent.
« À 23 orthopédagogues pour 14 écoles, on devait déjà prioriser des élèves en fonction de leurs résultats. À 14, je n’ose même pas imaginer », a lancé avec désarroi un employé du CSS de Sorel-Tracy qui a préféré conserver l’anonymat par peur de représailles.
Aussi, dans les derniers jours, des parents d’élèves ont lancé une pétition en ligne pour le maintien des tâches actuelles en orthopédagogie. En date du lundi 29 mai, 1028 personnes l’ont signée.
La présidente du Syndicat de l’enseignement du Bas-Richelieu, Lisette Trépanier, est aussi inquiète. « Ce sont des services qu’on enlève aux élèves en difficulté et le danger est de voir des orthopédagogues démissionner. Ce sont des gens qui ont étudié pour être orthopédagogues et non titulaires de classe. […] On pense que ce n’est pas une solution, mais un plaster », mentionne-t-elle.
« On a été rencontrés par les RH [le 25 mai] et il y a très peu d’ouverture. […] [Le député] Jean-Bernard Émond est au courant. Ça va à l’encontre des directives ministérielles pour les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage », informe anonymement un employé du CSS.
Le mardi 30 mai, des membres du personnel, dont des orthopédagogues, se réuniront devant le CSS de Sorel-Tracy, sur l’avenue Hôtel-Dieu, dès 16 h 15, pour faire part de leur mécontentement face à cette mesure.
Des élèves sont aussi inquiets
Alors que plusieurs membres du personnel avancent que ce seront les élèves qui seront principalement touchés par cette décision de réaffecter des orthopédagogues comme titulaires de classe, une lettre écrite par un jeune élève circule actuellement sur les réseaux sociaux.
« Je vous écris cette lettre pour que les ortho reste [sic] dans leur école. Les ortho sont vraiment important [sic] pour les enfant [sic] au primaire et au secondaire. Si les ortho ne sera [sic] pas là j’aurai [sic] encore 17 %. Maintenant j’ai amiliorer [sic] mes notes. Ses [sic] pour ça que les ortho doivent rester dans les écoles primaire [sic] et secondaire [sic]. SVP. Trouver [sic] d’autre [sic] solution. Merci de [sic] collaboration ».