19 juillet 2023 - 08:12
Nouvelle cantine administrée par un organisme à Contrecoeur
L’aide financière de la Ville suscite des questionnements
Par: Alexandre Brouillard

Plusieurs personnes se sont réunies pour l’inauguration de la cantine Chef Pécau, au parc Antoine-Pécaudy, à Contrecœur, le 4 juillet dernier. Photo gracieuseté

La cantine Chef Pécau, administrée par la nouvelle Corporation récréative et touristique des Cœurs-Vaillants, a été inaugurée le 4 juillet dernier, au parc Antoine-Pécaudy de Contrecœur. Alors que des citoyens se questionnent sur un prêt de 50 000 $ octroyé par la Ville de Contrecœur pour administrer la cantine, une experte en gestion municipale affirme que la Ville agit dans les règles de l’art.

Lors de la séance du 6 juin dernier, le conseil municipal de Contrecœur a autorisé la signature d’un protocole d’entente pour la gestion de la concession alimentaire du parc Antoine-Pécaudy avec la nouvelle Corporation.

Le bâtiment est devenu vacant après que la Ville ait mis fin au protocole d’entente avec Patate Attack en janvier dernier. Selon Emilie Noël-Allard, agente aux communications numériques, il s’agit d’un dossier qui est présentement en litige. « La relation d’affaires était suffisamment problématique pour que la Ville décide de mettre fin à l’entente, dans l’intérêt des citoyens », explique-t-elle.

Ainsi, la Corporation récréative et touristique des Cœurs-Vaillants, un organisme à but non lucratif (OBNL), a été récemment créée avec l’aide de la Ville et s’est fait confier la gestion de la cantine. « Elle [la Ville] a même été la bougie d’allumage en soutenant de multiples manières la mise sur pied de l’entité notamment au chapitre de l’obtention des numéros d’entreprise ou de taxe, et en investissant du temps », informe Emilie Noël-Allard.

« La Ville a choisi […] cet OBNL, qu’elle reconnaît comme une corporation mandataire au sens de la Politique de reconnaissance des organismes de la Ville de Contrecœur, notamment parce que sa mission est de développer une approche axée sur l’économie sociale et que l’un de ses objectifs premiers est de mettre en valeur des actifs de la communauté, au bénéfice des Contrecœurois », ajoute-t-elle.

Le protocole stipule l’octroi d’un prêt de 50 000 $ remboursable en quatre ans, et en quatre versements, sans taux d’intérêt, ainsi que le versement d’une somme de 15 000 $ non remboursable et assujettie à deux conditions.

Emilie Noël-Allard précise qu’il s’agit d’un prêt maximal de 50 000 $ et que pour l’instant, l’OBNL n’a emprunté qu’une fraction de cette somme. « [Il] n’empruntera peut-être pas la totalité, avance-t-elle. La Ville aurait pu décider de simplement y aller d’une subvention, mais ceux qui animent l’OBNL sont confiants de pouvoir rembourser rapidement le prêt contracté. »

La directrice de l’organisme pour la phase transitoire est Chloé Desnoyers Forget, qui est technicienne en loisirs pour la Ville de Contrecœur, en remplacement d’un congé de maternité. Le conseil d’administration de la Corporation est composé de Mario Castonguay, de Sophia Jean-Philippe, de Patricia Lespinasse et de Jean-Luc Duchesne, représentant de la Ville. Un élu municipal se joindra bientôt à l’équipe.

Chloé Desnoyers Forget a indiqué dans un communiqué que l’organisme a pour mission de développer une approche axée sur l’économie sociale. « Un des objectifs de la cantine est de créer des liens avec le territoire nourricier de Contrecœur et de développer une offre alimentaire locale, complémentaire et solidaire », explique-t-elle.

Plusieurs questionnements

Dans les dernières semaines, diverses voix se sont élevées afin de contester la légitimité de la gestion municipale dans ce dossier. Des citoyens, comme l’ancien candidat à la mairie en 2021 René Laprade, ont adressé plusieurs questions lors des dernières séances municipales concernant le prêt octroyé, l’occupation du bâtiment municipal dans le parc Antoine-Pécaudy par la cantine et sur l’aspect éthique du projet.

Divers commentaires sur les réseaux sociaux sont revenus, tels que : « ce n’est pas le mandat d’une ville de gérer une cantine », « le mandat d’une ville est d’encourager et soutenir les commerces locaux, pas leur faire compétition » et « notre ville devrait peut-être s’en tenir à son rôle fondamental et laisser les initiatives aux vrais entrepreneurs ».

René Laprade a d’ailleurs soulevé l’aspect éthique du dossier via un commentaire sur Facebook. « Maintenant le conseil municipal subventionne, avec l’argent des contribuables, des OBNL sans capitaux propres, qui font compétition aux entrepreneurs commerciaux établis. Ça donne l’impression d’une ville dynamique. Il faut croire que pour le conseil, c’est l’impression qui compte », a-t-il écrit.

Une pratique courante, selon une spécialiste

Pour la professeure en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal, Danielle Pilette, rien n’est étonnant dans ce dossier. Au contraire, selon elle, il s’agit d’une formule fréquente en récréation-tourisme municipale.

« A priori, l’organisme risque de se retrouver au périmètre financier de la Ville de Contrecœur, soit parce que des élus municipaux siègent à son CA, soit parce que la Ville lui fournit 50 % et plus de son financement », explique-t-elle. Elle ajoute que les OBNL peuvent obtenir des mandats sans appel d’offres en vertu de règles provinciales.

D’ailleurs, elle croit que la solution de l’OBNL privilégiée par la Ville offre davantage de flexibilité et d’agilité à la Ville. « L’alternative municipale à l’OBNL n’aurait peut-être pas été un appel d’offres de la part de cantines privées. Elle aurait peut-être été la desserte par la municipalité elle-même, avec l’embauche soit de travailleurs, soit d’étudiants. Et ce serait là une solution coûteuse, surtout qu’il est ensuite difficile d’abolir des postes municipaux, même dans le cas où la cantine est déficitaire », explique Mme Pilette.

Elle souligne aussi que la Loi sur l’interdiction de subvention municipale qui stipule qu’aucune municipalité ne peut venir en aide à un établissement industriel ou commercial en donnant la jouissance ou la propriété d’un immeuble ne s’applique pas dans le cas de la cantine du Chef Pécau, alors que c’est un organisme qui gère les lieux.

Finalement, Danielle Pilette ne voit pas d’enjeu éthique dans le dossier. « C’est un organisme à but non lucratif. La Ville peut lui faire un prêt sûrement pour une question de démarrage. Ce qui est à surveiller dans l’immédiat, ce n’est pas l’aspect éthique, mais plutôt si la cantine sera capable à long terme de rembourser le prêt. Si les opérations de la cantine ne sont pas rentables pour l’organisme, à ce moment, il faudra vérifier ce que la Ville fera », conclut la professeure.

Concernant les pouvoirs municipaux d’aide aux OBNL, le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) stipule que le statut d’OBNL ne permet pas à lui seul de justifier l’octroi d’une aide municipale. Avant de l’accorder, une municipalité devrait notamment vérifier que ses activités ne mettent pas l’OBNL en concurrence directe avec des établissements privés. Il appartient à la municipalité de réaliser les vérifications nécessaires avant d’octroyer une aide à un OBNL.

image
image