1 août 2023 - 01:00
Serge Péloquin accusé au criminel : un affidavit met au jour des faits troublants
De la paranoïa à l’hôtel de ville avant même la découverte du micro
Par: Alexandre Brouillard

L’affidavit n’est plus sous scellé depuis la mise en accusation de Serge Péloquin. Photo Jean-Philippe Morin | Les 2 Rives ©

L’UPAC a mené une perquisition le vendredi 6 mai 2022, en soirée, au domicile de Serge Péloquin. Dans l’affidavit, on apprend que l’ex-maire a été mis sous filature avant cette perquisition. Photo Steve Gauthier | Les 2 Rives ©

Avant même la découverte du dispositif d’écoute électronique dans le bureau du greffier René Chevalier en avril 2022, la paranoïa était intense à l’hôtel de ville de Sorel-Tracy.

C’est ce qu’a permis d’apprendre un affidavit, dont le journal Les 2 Rives a obtenu copie, concernant l’abus de confiance, l’interception illégale de communications privées et la possession de matériel d’interception. Jusqu’à tout récemment sous scellé, ce document comprend plusieurs déclarations faites sous serment qui permettent d’apprendre plusieurs détails sur le dossier de l’écoute électronique réalisée dans le bureau du greffier par l’ex-maire Serge Péloquin qui, rappelons-le, fait face à deux chefs d’accusation au criminel.

Les informations colligées dans une centaine de pages de transcriptions d’entretiens, notamment avec des directeurs de services et des élus de la Ville de Sorel-Tracy, font état d’un climat toxique dans l’établissement municipal, et ce, bien avant la découverte du dispositif d’écoute électronique.

Des directeurs de services ont confié aux enquêteurs qu’ils avaient l’impression d’être écoutés. Malgré l’absence du maire dans la pièce, plusieurs employés trouvaient que Serge Péloquin était au courant rapidement de sujets qui venaient d’être discutés. « Tout le monde croyait qu’il y avait des micros. Ils soupçonnaient d’être écoutés. Ils discutaient de façon confidentielle et le maire parlait de ce qu’ils avaient dit sans qu’il était présent », a confié un employé aux enquêteurs.

Un employé a même admis avoir passé son bureau au crible pour s’assurer qu’il n’y avait pas de dispositif. « Les employés doutaient de tout ».

« À plusieurs reprises, le maire aurait mentionné au témoin qu’il entendait René Chevalier par le calorifère de son bureau », a témoigné un directeur de service.

M. Péloquin aurait fait écouter des enregistrements à deux employés haut placés. Il leur a mentionné qu’il captait le son avec son cellulaire qu’il collait sur le mur. Mur qui, rappelons-le, était mitoyen entre son bureau et celui du greffier.

En mai 2021, le nouveau directeur général de la Ville, Carlo Fleury, arrive en poste. Il rencontre individuellement chacun des directeurs de services. Selon le document de cour, quatre d’entre eux lui auraient dit spontanément : « On fait ça ici? », étant inquiets d’être écoutés.

Lors d’une discussion en avril 2022 entre l’ex-directeur général Karl Sacha Langlois et Serge Péloquin, ce dernier lui a avoué avoir installé le dispositif d’enregistrement. Après lui avoir demandé ses motivations et suggéré d’engager un avocat, l’ex-maire aurait répondu qu’il avait lu des jurisprudences sur Google. « Lors de sa dernière discussion avec le maire, il l’a informé qu’il ne pouvait plus lui parler et le maire était en état de panique », est-il indiqué dans l’affidavit. Par ailleurs, Karl Sacha Langlois a indiqué ne pas être au courant de la présence du dispositif d’écoute électronique dans le bureau du greffier.

D’autres témoins ont souligné à plusieurs reprises que Serge Péloquin « écrase et élimine » les personnes qui ne partagent pas ses idées. Des personnes qui sont à l’emploi de la Ville depuis de nombreuses années ont mentionné que le climat de travail s’était détérioré depuis son arrivée.

Aussi, des conseillers municipaux ont souligné aux enquêteurs que des employés « ont peur du maire », qu’ils « craignent [ses] colères » et qu’il a « souvent abusé de son rôle ». Finalement, un conseiller a mentionné que « quand quelqu’un parle contre le maire, celui-ci fait tout pour le détruire, miner sa crédibilité et détruire la réputation ».

Sous filature pendant deux jours

Dans un des documents, on peut apprendre que Serge Péloquin a été mis sous filature par des agents de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) toute la soirée du jeudi 5 mai 2022 et pendant la journée du vendredi 6 mai 2022. Rappelons que la perquisition de l’UPAC au domicile de l’ex-maire s’est justement déroulée le 6 mai, en soirée.

Les faits et gestes de l’ex-maire ont donc été scrutés. On y apprend où il s’est rendu, ce qu’il avait en sa possession et à qui il a parlé.

La sergente-enquêtrice au dossier mentionne que cette filature lui permettait de croire que du matériel informatique se trouvait à sa résidence. Elle voulait entre autres saisir des ordinateurs et des téléphones cellulaires ayant permis de remonter jusqu’à lui; des objets n’ayant pas été trouvés dans une perquisition effectuée à l’hôtel de ville un peu plus tôt dans la journée du 6 mai.

Au final, la perquisition effectuée à l’hôtel de ville aura permis aux enquêteurs de notamment trouver un ordinateur portable (non-saisi), un onedrive (non-saisi), un carnet de notes (non-saisi, mais photos prises) et le rapport déposé par Serge Péloquin au conseil le 2 mai 2022 (saisi). Tandis que la perquisition menée à la résidence de Serge Péloquin aura permis de trouver deux ordinateurs, dont un saisi, et trois téléphones cellulaires, dont un saisi. D’ailleurs, dans l’affidavit, un employé soutient que M. Péloquin a besoin d’un forfait avec une très grande capacité de mémoire qui revient à 700 $ par mois, aux frais de la Ville.

Dans ces appareils, les policiers ont mis la main sur des enregistrements vidéos en lien avec la caméra qui se trouvait dans le bureau du greffier. Plusieurs vidéos, dont un daté du 7 novembre 2020, démontrent un bureau de travail, une table, des chaises et Serge Péloquin. Il s’agissait vraisemblablement de vidéos tests.

Finalement, une vidéo datée du 10 novembre 2020 montre le dessus d’une étagère, un drapeau blanc à l’effigie de la Ville, une fenêtre qui semble donner sur un autre local, l’arrière d’un haut-parleur de marque JVC et une partie d’un classeur gris. « À 22 h 07, on voit le visage de M. Serge Péloquin apparaître à l’écran. Il déplace la caméra pour la coucher, de façon qu’elle filme le plafond et une bouche d’aération. […] Ainsi que le numéro de série du haut-parleur », peut-on lire dans le document. Le 13 mai 2022, un enquêteur a pu relever le numéro de série du haut-parleur se trouvant de le bureau de René Chevalier grâce à un mandat. Le numéro correspond à celui que les enquêteurs ont pu apercevoir dans les vidéos.

Lorsque rencontré par les enquêteurs en mai 2022, Serge Péloquin s’était incriminé, protestant avoir agi de bonne foi. « Oui, j’ai posé un bidule », avait-il révélé en interrogatoire, soutenant n’avoir peut-être pas fait les choses de la bonne façon.

Son objectif été plutôt de prouver le manque de loyauté du greffier qui « placotait, le méprisait et coulait de l’information ».

Apparence de conflit d’intérêts

Selon les informations divulguées dans l’affidavit, plusieurs personnes rencontrées par les enquêteurs ont affirmé que Serge Péloquin semblait être en conflit d’intérêts dans plusieurs dossiers municipaux, notamment en lien avec Statera et la défunte Corporation des événements de Sorel-Tracy.

Concernant le dispositif d’écoute électronique trouvé dans le bureau du greffier, un employé soutient qu’il ne s’agit que « d’animosité personnelle » de Serge Péloquin à l’endroit de René Chevalier.

À ce sujet, une tension semblait régner entre les deux hommes concernant l’octroi de contrat audiovisuel, alors que le fils de l’ex-maire, Olivier Péloquin, et le gendre de René Chevalier, Simon Deschesnes, possèdent des entreprises dans le domaine de l’événementiel et sont donc en compétition lors d’appels d’offres à la Ville.

Un conseiller municipal a même affirmé que la relation entre les deux hommes s’étaient détériorée avec « l’histoire du contrat audiovisuel ».

En mai 2022, Karl Sacha Langlois est rencontré par des enquêteurs. Il a raconté qu’environ un mois et demi après son arrivée comme directeur général, il y avait eu une plainte pour non-respect contractuel. « La Ville avait été en appel d’offres pour quelque chose qui s’appelait « technique de son » et le contrat avait été donné au gendre de M. Chevalier. La plainte venait d’un autre entrepreneur qui fait de la technique de son et qui se trouve à être le fils du maire Serge Péloquin », a-t-il raconté aux enquêteurs, précisant qu’il y avait un historique entre Serge Péloquin, son fils, René Chevalier et son gendre.

Pourtant, selon le témoignage d’un employé du service de l’approvisionnement, le greffier n’aurait pas accès à de l’information privilégiée relativement aux appels d’offres et soutient qu’à aucun moment il n’avait eu l’impression que Serge Péloquin était impliqué dans le choix des entrepreneurs ou qu’il s’incrustait dans le choix des entrepreneurs.

Avec la collaboration de Jean-Philippe Morin

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