24 janvier 2024 - 08:08
La sous-scolarisation, un héritage qui tient de moins en moins dans la région
Par: Stéphane Fortier

René Lachapelle nous a rappelé que pendant longtemps, la sous-scolarisation était très présente à Sorel-Tracy. Photo Stéphane Fortier | Les 2 Rives ©

La sociologue et professeure au Cégep de Sorel-Tracy, Myriam Beauchesne-Lachapelle, a expliqué le pourquoi du décrochage scolaire, mais a dressé un portrait beaucoup plus positif que ce que les chiffres montraient il y a quelques années. Photo Stéphane Fortier | Les 2 Rives ©

Pendant de nombreuses années, Sorel-Tracy était considérée comme l’une des villes les plus industrialisées au Québec, et la sous-scolarisation s’avérait une triste caractéristique de la communauté.

Les emplois disponibles ne demandaient pas une instruction très poussée et une partie de la population souffrait d’analphabétisme ou, à tout le moins, d’analphabétisme fonctionnel. « C’était particulièrement vrai pour la génération des années 1940 à 2000 et dans les années 1970, on comptait 7500 emplois industriels, ici. C’était tentant d’abandonner l’école pour aller travailler », nous dit René Lachapelle, chercheur au niveau universitaire et spécialisé notamment dans l’organisation communautaire.
M. Lachapelle fait remarquer un fait qui l’a grandement étonné, il y a quelques années. « Lorsque l’entreprise Celanese a fermé ses portes dans les années 1990, la majorité des employés, qui avaient 40-50 ans, dont beaucoup de femmes, étaient en état de panique. Les tâches qu’ils effectuaient étaient particulières, très spécialisées et n’étaient pas transférables. Retourner à l’école? Certains s’en sentaient incapables, surtout que l’école revêtait une expérience négative pour plusieurs. Les gens ne valorisaient pas nécessairement l’éducation et ceux qui faisaient des études ne restaient pas pour travailler à Sorel. De même, ceux qui travaillaient pour les grosses entreprises qui sont parties, comme Marine Industries et qui étaient des techniciens, ont trouvé des emplois ailleurs », explique M. Lachapelle. Donc, à l’époque où beaucoup d’emplois étaient disponibles, plusieurs ne prenaient pas la peine d’étudier.
Pour lui, le phénomène de la sous-scolarisation est en lien avec le contexte du milieu de vie. « Ce ne sont pas des gens qui valorisent les études et ce n’est pas un endroit propre à l’apprentissage. Mais heureusement, les choses ont évolué au cours des dernières années. De plus en plus de gens vont à l’école, mais encore faut-il créer des conditions favorables comme la création de réseaux. Les groupes sont trop changeants », croit René Lachapelle, qui fait valoir que ce manque de réseaux se fait sentir particulièrement chez les garçons.
Ce dernier parle aussi des activités parascolaires qui peuvent donner une motivation supplémentaire aux garçons, mais qui ont lieu, le plus souvent, après les horaires de classe. « Il n’y plus de transport scolaire après les horaires réguliers. Cela pose un problème », dit-il.

Moins de décrochage… mais Sorel-Tracy est toujours vulnérable

Selon Myriam Beauchesne-Lachapelle, sociologue et enseignante au Cégep de Sorel-Tracy, le décrochage des garçons a fortement baissé de 1999 à 2015 au Québec comme à Sorel-Tracy. Dépassant 30 % en 2000, le taux alarmant de décrochage des garçons a suscité une prise de conscience collective dépassant largement le milieu de l’éducation. Les efforts de sensibilisation et de mobilisation qui en ont découlé portent leurs fruits. Le taux a chuté de 12,1 points en 15 ans. De fait, de 32,4 % qu’il était chez les garçons, on note un taux de 19,2 % dix ans plus tard. Il était de 11,9 % chez les filles.
En 2022-2023, le Centre de services scolaire de Sorel-Tracy montrait un taux de diplomation et de qualification de 72,2 %. Il y a encore du travail à faire, mais cela est nettement mieux qu’en 2018-2019, où le taux gravitait autour de 66 %. La cible fixée par le centre de services scolaire pour 2023 était de 76 %.
Chez les garçons, les motifs d’abandon scolaire sont davantage liés à une aversion envers l’école ainsi qu’à l’attrait des activités de loisirs et du travail rémunéré. Mais dans tous les cas, on parle du faible statut économique, des relations parents-ados négatives, des interactions négatives, de la réussite scolaire qui n’est pas là et du climat de classe. Oui, les gars décrochent plus, mais la tendance est heureusement à la baisse dans la région, selon Myriam Beauchesne-Lachapelle.
« Mais le décrochage scolaire des filles diminue moins rapidement que celui des garçons », fait remarquer la sociologue, qui explique que les parcours de décrochage sont influencés par une socialisation différente des filles et des garçons.
« Tout indique que les élèves qui adhèrent le plus aux stéréotypes sexuels sont ceux qui décrochent le plus », nous dit Mme Beauchesne-Lachapelle. Les stéréotypes liés au sexe masculin (insolence, appel à la force physique, désir de travailler pour « faire du cash », etc.) sont plus valorisants. Les rôles du modèle offert aux filles (le maternage, le paraître, l’espace domestique, etc.) sont limitatifs.
« Les conséquences économiques du décrochage marquent davantage les trajectoires de vie des filles, qui connaissent plus fortement la précarité. Les statistiques montrent que les femmes ont des revenus inférieurs à ceux des hommes à niveau d’études équivalent et qu’elles sont davantage touchées par la pauvreté », indique Myriam Beauchesne-Lachapelle.
Mais les gars décrochent-ils plus? Pour elle, le décrochage scolaire n’est pas une question de genre. « C’est plutôt l’environnement socio-économique. Mais il faut tout de même agir sur les facteurs associés au décrochage des garçons », mentionne-t-elle.

Sorel-Tracy moins favorisée

La défavorisation socio-économique est un facteur de risque important de décrochage scolaire. Justement, presque toutes les écoles de Sorel-Tracy et les alentours, sauf une (Au Petit Bois), sont situées dans des milieux socialement défavorisés, selon l’Indice du milieu socio-économique du ministère de l’Éducation du Québec. Selon ce classement, le rang 1 regroupe les écoles accueillant principalement des élèves qui proviennent des milieux les plus favorisés, tandis que le rang 10 regroupe les écoles qui accueillent principalement des élèves provenant des milieux les plus défavorisés. Les écoles du Centre de service scolaires de Sorel-Tracy se classent dans les rangs 8 à 10 ou, au mieux, de 4 à 7.
Heureusement, cette sous-scolarisation est de moins en moins présente ici et, dans une prochaine édition, on abordera le plan de réussite mis en place par le Centre de services scolaire de Sorel-Tracy pour la contrer.

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