Dès l’âge de 6 ans, Roger Frappier a été mis en contact avec le cinéma au Théâtre Sorel. Sa tante y travaillait et le laissait voir des films dans les loges les samedis et les dimanches. « Je n’avais pas de télé à la maison, alors j’ai été en contact avec le grand écran avant le petit écran », raconte l’homme de 78 ans.
Lorsqu’il avait 16 ans, en 1961, il a pris l’autobus en direction de Montréal pour aller voir, au Théâtre Alouette, West Side Story, une comédie musicale. « En revenant à Sorel, la tête accotée dans la fenêtre de l’autobus, je me suis dit : «c’est ça que je veux faire dans la vie«. La projection de ce film a été l’élément déclencheur », admet-il.
Peu de temps après, Roger Frappier a quitté Sorel pour étudier en sciences politiques au Collège Sainte-Marie à Montréal. Il est ensuite allé étudier le cinéma à Londres vers la fin des années 60. « J’ai été très chanceux d’avoir comme professeur le grand cinéaste anglais Lindsay Anderson qui faisait le film if à ce moment. J’ai pu y participer comme étudiant », se remémore-t-il.
De retour au Québec au début des années 70, M. Frappier a fait quelques documentaires, puis il s’est envolé vers les États-Unis pour devenir assistant au film Nashville en 1974, où il est devenu ami avec le directeur et producteur Robert Altman. « Ç’a été une très grande compréhension des plateaux, du tournage, de la fiction. »
Même s’il avait pu rester à Los Angeles pour poursuivre sa carrière, le Josephois est tout de même revenu au Québec avec un grand bagage d’expérience. « Je voulais plus être producteur que réalisateur. Comme réalisateur, tu fais un film par quatre ans, alors que moi, j’avais de l’énergie pour en faire quatre par année, ricane-t-il. Alors c’est comme ça que j’ai créé un studio de cinéma à l’intérieur de l’ONF [Office national du film]. »
Alors employé de l’ONF, il quitte pour fonder Max Films en 1986, la même année qu’il produit Le déclin de l’empire américain, le film qui le fait voir aux yeux du grand public.
Roger Frappier est toujours le président de Max Films aujourd’hui. Il a pu produire des films comme Un zoo la nuit (1987), Jésus de Montréal (1989) avec Denys Arcand ainsi que son premier grand succès populaire, Ding et Dong le film (1990).
C’est toutefois du film Cosmos (1996) dont il parle avec le plus de fierté. « J’ai voulu asseoir le cinéma québécois dans une nouvelle génération. […] À l’époque, j’ai réuni trois femmes et trois hommes pour réaliser le film. Je voulais avoir la parité. Ç’a été une aventure extraordinaire. C’était les premiers pas de cette nouvelle génération de réalisateurs dans un film collectif », mentionne-t-il avec fierté, en nommant les réalisateurs Denis Villeneuve, André Turpin, Jennifer Alleyn, Manon Briand, Marie-Julie Dallaire et Arto Paragamian. Ce film a d’ailleurs été choisi pour représenter le Canada aux Oscars, en plus d’être en nomination aux prix Génie et cité à Cannes.
Sa collaboration avec Denis Villeneuve a continué par la suite avec notamment Un 32 août sur terre (1998). « Ce qui est extraordinaire avec Denis, c’est qu’on était tous les deux aux Oscars il y a deux ans. Il avait 10 nominations pour Dune et moi 12 pour The Power of the Dog. Deux p’tits gars du Québec avec 22 nominations, c’était extraordinaire », se réjouit-il.
Hommage au Gala Québec Cinéma
Le 10 décembre dernier, le Gala Québec Cinéma tenait sa 25e édition sur les ondes de Noovo. Roger Frappier a cocréé ce gala en 1999 et il était présent ce soir-là.
« Ce soir, pour le 25e, celui à qui nous devons la création du Gala est avec nous dans la salle. Grand bâtisseur du cinéma québécois qui célèbre ses 50 ans de carrière. Il a entre autres produit Le déclin de l’empire américain et La grande séduction, il a fait rayonner les films d’ici partout dans le monde, aux Oscars, à Cannes, à Venise, et ce soir, il est ici, chez nous, à Pointe-Saint-Charles (rires). Merci pour tout M. Frappier », a mentionné l’animateur Jay Du Temple, en pointant Roger Frappier, sous les chauds applaudissements des personnes présentes dans la salle qui se sont levées d’un trait pour le saluer. Roger Frappier s’est dit touché par cette attention. « C’est venu me chercher parce que c’est du monde qui fait le même métier que moi », témoigne-t-il.
Il mentionne avoir créé ce gala puisqu’il en avait assez que le cinéma québécois ne soit pas reconnu à sa juste valeur. « Je voulais qu’on reconnaisse l’excellent travail qui se fait ici. Les prix qu’on gagne à Toronto, ça n’a aucune influence au Québec. Imagine : j’ai gagné la Bobine d’or pour Ding et Dong le film (remis au film avec le plus d’entrées enregistrées au Canada) alors que le film n’a jamais été diffusé au Canada anglais! » raconte-t-il.
Deux films en cours
Même après 50 ans de carrière, une soixantaine de films, séries ou documentaires produits ainsi qu’une dizaine de films réalisés, Roger Frappier n’est pas près d’arrêter.
« Le métier que je fais, je peux continuer de le faire parce que ce n’est jamais la même histoire, jamais le même défi, jamais le même monde, jamais les mêmes lieux de tournage. Par exemple, j’ai fait deux films au Vietnam. Pour The Power of the Dog, on a fait des recherches au Montana et on a tourné en Nouvelle-Zélande. J’ai fait deux films dans l’Arctique. Il y a aussi eu le tournage de La grande séduction sur l’île avec une population qui a fait partie du film. Mon métier m’apporte des expériences multiples dans la continuité, c’est unique! Chaque film est un grand moment de vie. »
M. Frappier a d’ailleurs dévoilé ses deux projets en cours. « Je travaille sur une adaptation du roman d’Henning Mankell, Les chaussures italiennes. Ce sera tourné dans des pays nordiques. Ce sera donc une nouvelle expérience, avec du nouveau monde. […] J’ai aussi acquis les droits du roman L’Orangeraie de Larry Tremblay. On développe ça avec un jeune cinéaste jordanien, on va le tourner dans les pays arabes. Dans mes deux prochaines productions, je vais donc me transporter entre les pays nordiques et les pays arabes, c’est tout un programme devant moi avec deux films complètement différents, mais ce sont des sujets qui me passionnent. »
Et à 78 ans, compte-t-il arrêter bientôt? « Je pense qu’on m’arrêtera un jour avant que j’arrête moi-même! Ça me nourrit, ça me garde en vie. Je pourrais prendre ma retraite, lire des livres et regarder la télé, mais j’aime mieux mettre des éléments créatifs ensemble, trouver le bon monde pour le faire, trouver du financement, voyager… Je pense que je suis un nomade et non un sédentaire et le cinéma me permet de vivre ce côté nomade à travers la planète. Comme c’est un métier qui se renouvelle, c’est comme mon université permanente », conclut-il.