16 juillet 2024 - 08:10
Centre de détention de Sorel-Tracy
Insatisfaction chez les agents correctionnels et les détenus
Par: Alexandre Brouillard

Dans certaines prisons du Québec, dont celle de Sorel-Tracy, des détenus peuvent passer jusqu’à 23 heures par jour en cellule, faute d’agents correctionnels suffisants. Photothèque | Les 2 Rives ©

Les années passent, mais la situation ne change pas au Centre de détention de Sorel-Tracy. Alors que les agents correctionnels ne sont pas en nombre suffisant, ils doivent multiplier les quarts de travail en temps supplémentaire obligatoire (TSO) contre leur gré. Ajoutez à cela l’insatisfaction grandissante des détenus qui voient leurs heures hors cellule diminuer et vous obtenez une situation explosive.

À la fin juin, un détenu a laissé un message sur la boite vocale du journal Les 2 Rives, dénonçant la situation explosive dans les murs du Centre de détention de Sorel-Tracy.

« On se fait toujours embarrer dans nos cellules supposément à cause du manque de personnel. Tous les détenus de tous les secteurs ne rentreront pas dans leur cellule.On a décidé de faire un droit de manifestation. On veut que ça soit divulgué et que notre bon ministre allume sur le fait qu’on est quand même des êtres humains et pas des animaux. Les gardiens ne veulent même pas venir travailler ici! Il y a un problème quelque part et c’est au ministre de la Justice à régler ça », a détaillé le détenu qui a conservé l’anonymat.

Karina Tremblay, une femme d’un détenu, a raconté que les prisonniers à Sorel-Tracy sont seulement sortis deux heures de leur cellule entre le vendredi 5 juillet et le lundi 8 juillet au matin. « Mon conjoint m’a dit que la prison est surpeuplée et qu’il fait super chaud. […] Ça n’a pas de sens, ce ne sont pas des animaux. On s’inquiète pour eux », avance-t-elle.

Appelé à corroborer les affirmations précédentes, un agent correctionnel, qui souhaitait conserver l’anonymat par peur de représailles, a révélé que la situation est actuellement très tendue au Centre de détention de Sorel-Tracy.

« Présentement, on est en gros manque de personnel! C’est du jamais vu. On est appelé à faire des TSO jusqu’à cinq ou six fois par semaine en plus de nos heures régulières. Des agents se font suspendre lorsqu’ils refusent des TSO pour des raisons jugées non valables. Quand on est agent correctionnel, on nous prévient qu’on pourrait être appelé à faire des heures supplémentaires pour des situations d’urgence. Souvent, ce ne sont pas des situations d’urgence, mais plutôt des choses qui se contrôlent. On est laissé au travail parce que les détenus doivent aller au parloir ou d’autres affaires du genre. Ça n’a pas de bon sens », explique-t-il.

Selon le Journal de Montréal, la tension aurait récemment monté d’un cran au Centre de détention de Sorel-Tracy, alors que des détenus auraient fracassé des fenêtres de cellule et lancé des objets sur des guérites. Une information que Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, n’a pas été en mesure de confirmer.

« On voit une clientèle plus violente et menaçante, a-t-il mentionné. Ce n’est pas lié au confinement en cellule, c’est lié à la criminalité à l’intérieur des murs, qui est faite soit par des gangs de rue ou des groupes affiliés. Les introductions par drone de substances illicites provoquent du trafic à l’intérieur et du conflit. Tout ce qu’on voit actuellement dans la société à l’extérieur des murs se transpose à l’intérieur des prisons. »

Le manque d’effectifs au cœur du problème

Selon Mathieu Lavoie, le manque d’effectifs est au cœur des tensions dans différentes prisons du Québec, notamment à Sorel-Tracy.

« Ce manque est criant à Sorel-Tracy, fait-il savoir. On n’a pas assez d’effectifs pour assurer les pleins privilèges aux personnes incarcérées. Actuellement, il y a beaucoup d’épuisement et de démissions reliés au TSO. Ça vient donc créer des problématiques au niveau de la sécurité », explique-t-il.

Ce dernier admet que le manque de personnel à l’intérieur des murs est à l’origine de la diminution du temps passé hors cellule pour les détenus. « C’est pour assurer la sécurité de l’établissement », prévient-il.

Le ministère de la Justice du Québec se dit au fait de la pénurie de main-d’œuvre et de ses impacts sur les conditions de détentions pour les prisonniers ainsi que sur les TSO pour les membres du personnel.

Tout comme Mathieu Lavoie, le ministère soutient que la diminution du temps hors cellule est parfois nécessaire pour des questions de sécurité. « Une attention est portée pour que cette mesure soit appliquée pour la plus courte durée possible et en rotation entre les secteurs de manière que chaque personne incarcérée puisse bénéficier du plus de temps possible hors de sa cellule », mentionne Thomas Ricard, relationniste au ministère de la Justice.

Concernant les TSO, M. Richard affirme que leur proportion sur le temps supplémentaire réalisé par les agents des services correctionnels de l’Établissement de détention de Sorel-Tracy est passée de 17 % à 12 % entre 2023 et 2024.

Questionné quant à cette diminution, Mathieu Lavoie affirme qu’elle est difficile à déceler au quotidien. « Plusieurs fois par semaine, des gens écopent. L’épuisement est déjà là », indique-t-il.

Thomas Ricard n’a pas voulu révéler le nombre d’agents correctionnels manquants à Sorel-Tracy. « Pour des raisons opérationnelles et de sécurité, nous ne ventilons pas le nombre de postes vacants par établissement de détention. À l’échelle provinciale, en date du 6 juin, il y avait 294 postes d’agents des services correctionnels vacants sur un total de 3016 postes, ce qui correspond à un taux de 9,7 % », a-t-il répondu.

Pourtant, en avril 2023, le même ministère avait révélé à notre journaliste qu’une « quinzaine de postes d’agents des services correctionnels » étaient vacants à Sorel-Tracy, dont huit avec le changement de responsabilité de la gestion du quartier cellulaire du palais de justice de Longueuil.

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