20 février 2018 - 08:00
Deux familles ayant perdu un enfant se livrent à cœur ouvert
« À ce moment-là, j’ai cru que le bonheur m’avait quitté pour toujours » – Angélique Chenette
Par: Julie Lambert

Les familles d'Angélique Chenette (à gauche) et d'Élyse Turgeon et Alain Levasseur ont vécu un drame il y a deux ans. (Photo : Pascal Cournoyer)

Il y a deux ans, les vies d’Angélique Chenette, Élyse Turgeon et Alain Levasseur allaient changer à jamais. Alors que Mme Chenette apprenait le cancer incurable de son fils Charles Caisse, les Levasseur disaient adieu à leur fille Édith, décédée de la même maladie. Plusieurs années plus tard, la blessure est toujours aussi vive, mais les familles ont réussi à apprendre à vivre avec le drame de perdre un enfant.

Les deux familles ont accepté de discuter de cette perte avec le journal Les 2 Rives pour pouvoir aider les gens qui seraient dans la même situation. Lors de cette discussion forte en émotion à cœur ouvert, les parents se sont reconnus dans les différentes étapes de cette épreuve qui leur a ravi leurs enfants.

Un départ douloureux

Alain Levasseur et Élyse Turgeon, de Contrecœur, ont été les premiers à être touchés par un drame. Leur fille Édith est tombée malade en 2009. À cette époque, elle n’avait que 18 ans. Elle est finalement décédée des suites de son cancer au cerveau après plusieurs années de lutte, le 20 janvier 2016 .

Leur fille a été optimiste jusqu’à la fin, souligne sa mère. « Elle a fini son DEC en intervention en délinquance et elle était rendue à sa deuxième année à l’université. Du début à la fin, Édith, c’était une joie de vivre. Jusqu’à la fin, elle avait l’espoir de s’en sortir. »

« Elle continuait de s’entrainer au cyclisme. Lorsqu’elle avait appris sa maladie, elle avait pris un grand carton et elle avait tracé son chemin de vie. Il y en avait des affaires à réaliser dans son chemin de vie. Elle était remplie de projets et elle voulait en réaliser des choses », se souvient son mari avec un sourire.

Du côté de la famille d’Angélique Chenette, il n’y a eu aucun espoir. Le cancer au cerveau de leur fils Charles Caisse, âgé de six ans à l’époque, s’est rapidement détérioré. Pour lui permettre de passer un dernier été de rêve et pour qu’il puisse finir ses jours à la maison entouré de sa famille, un appel à la population avait été lancé en juin 2016.

Le 26 août 2016 toutefois, quelques semaines après avoir eu sept ans, il est parti. Selon sa mère, il a vraiment changé la vie de beaucoup de gens, dont la sienne. Même si la douleur est encore vive, Mme Chenette se réjouit de chaque jour qu’elle a pu passer auprès de lui malgré sa courte vie. Elle est contente d’avoir eu la chance de prendre soin de lui et d’avoir passé un dernier bel été en famille.

« Il est mort dans notre salon, dans mes bras. Même si ce ne sont pas de beaux souvenirs, je suis contente d’avoir pu passer tous ces derniers moments avec lui. On a pu tout se dire ce que nous voulions nous dire. Je n’ai aucun regret. J’aime mieux chérir ces sept années-là que de toujours pleurer le fait que je n’aurai plus d’autres années avec lui. Cette courte vie, c’est vraiment un cadeau de la vie pour moi », avoue la mère de famille en larmes.

Un deuil ardu

Lors d’un deuil, les gens passent par plusieurs étapes. Les plus souvent citées sont le choc, le déni, la colère, le marchandage, la dépression et la tristesse ainsi que l’acceptation. Pour les deux familles, tout cela a été un parcours en montagnes russes et encore aujourd’hui, il est très difficile pour elles de penser à leur enfant sans ressentir une très grande souffrance.

« Mon deuil était comme déjà fait depuis le diagnostic. Je ne pleurais même pas. J’étais complètement gelée. D’habitude, je suis une fille très sensible. Là, je n’étais pas là. Après ça m’a frappée, je me suis effondrée. J’ai dit à mon père : je pense que le bonheur m’a quittée pour toujours. Je ne serai plus jamais heureuse, c’est impossible », se rappelle avec beaucoup de tristesse Mme Chenette.

« Peut-être que c’était trop douloureux de l’accepter et de le vivre, mais tu t’es relevée parce qu’il y avait du monde qui comptait sur toi, a répondu Élyse Turgeon à la maman de Charles. Si je vais vraiment à l’intérieur, je pourrais me mettre en petite boule pis… », ne termine pas Mme Turgeon la gorge nouée par l’émotion.

« Il faut continuer parce qu’on a d’autres d’enfants qui ont besoin de toi ou besoin de moi. Avant d’être des parents, on est des êtres humains. On a une vie. Je pense que cela vaut la peine de sourire encore. Mais si on va vraiment profond, la douleur est toujours là », finit-elle par ajouter.

Pour Mme Chenette, il est important de continuer à parler de son fils. « Il y a un après. Pendant que j’ai vécu ça, j’aurai aimé que quelqu’un me dise : oui il y a un après, oui cela va être tough, mais tu ne seras pas malheureuse jusqu’à la fin de tes jours. Cela va être difficile, c’est comme vivre avec un membre en moins. C’est là, c’est toujours là, ça ne s’en va pas. Parfois, les gens n’osent pas en parler pour ne pas te blesser ou t’y faire penser, mais j’y pense tout le temps. J’aime ça parler de lui », souligne-t-elle.

Le chemin vers la guérison

Chacun des membres de la famille est allé chercher de l’aide à sa façon, soit avec un psychologue pour les Levasseur ou des services de soutien et de soins pour Mme Chenette.

La plus grande aide vient des proches et de la famille, soulignent-ils. Avec eux, ils ont établi certains rituels. « J’avais toujours voulu être maman. Mon but dans la vie, c’était d’être mère. Perdre un fils, je me disais que je ne serai plus jamais heureuse. Finalement, cela fait un an et demi et je suis heureuse. Mes enfants me comblent de bonheur tout comme mes amis et ma famille. Je vis ma vie, ce n’est pas un boulet autant que je le pensais », confie Mme Chenette.

Elle parle beaucoup de son fils avec ses proches et à Noël, tout le monde fait un toast en son honneur. « Il est toujours là. Il me manque. Des fois, tu y penses et tu souris et d’autres fois, ça fait mal », mentionne la maman, les deux émotions se succédant sur son visage.

« C’est réapprendre à vivre avec cette peine-là. Tu l’as à l’intérieur, mais il y a autre chose à côté. C’est de l’apprivoiser. De prendre un jour après l’autre. C’est de reconstruire après », explique Élyse Turgeon.

Pour Mme Turgeon, chaque personne est différente et elle doit trouver ce qui lui fait du bien, que ce soit dans la spiritualité ou dans des signes du quotidien.

« Chaque fois qu’il y a une fête ou une cérémonie, il y a un deuil à faire. C’est constant. Édith voulait tellement voyager. Elle aurait vraiment aimé cela alors quand on part en voyage ou que quelqu’un d’autre le fait, on apporte les cendres et on prend une photo. Chaque fois que quelque chose d’inattendu arrive et qu’on pense qu’ils sont là, ça nous fait du bien. Il n’y a pas de bonne recette. Si quelque chose te fait du bien, prends-le comme un signe », donne Mme Turgeon comme conseil.

Un traumatisme à surmonter

Selon la directrice du centre de crise La Traversée de Sorel-Tracy, Marie-Claude Lacasse, il est très ardu de surmonter la perte d’un enfant. Elle le constate depuis 11 ans en agissant comme intervenante dans les groupes de soutien au deuil; cette épreuve est parmi les plus difficiles.

Pour les parents, dit-elle, perdre un enfant n’a tout simplement aucun sens. Il est donc encore plus difficile pour ces personnes de passer la dernière étape du deuil, soit celle de l’acceptation du drame qu’elles ont vécu.

« On sait qu’un jour ou l’autre, on perdra nos parents âgés, des oncles, des tantes ou des cousins, mais un enfant qui décède, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Donc, si cela ne fait pas de sens, on a de la misère à tourner la page. Il est difficile de trouver un sens à cela, voire presque impossible. Ça peut être long s’en sortir. Il y a des gens qui choisissent de donner un sens à ça en s’impliquant dans un organisme ou une cause en lien avec le départ de leur enfant », explique-t-elle.

La mort d’un enfant ne touche pas seulement la famille, mais aussi la communauté entière, croit Mme Lacasse. Souvent, les gens ne savent pas comment aborder le sujet avec les amis de l’enfant décédé.La manière de surmonter leur deuil est aussi une étape ardue, ajoute-t-elle.

Les parents vont réagir différemment. Des personnes vont en parler toujours, d’autres vont dormir avec les vêtements de leur enfant ou ne voudront pas se défaire de leurs affaires. Certaines vont se lancer corps et âme dans le travail et d’autres ne seront plus capables d’y aller.

« Il y a comme une pression sociale qui dit qu’il faut que tu passes rapidement à autre chose. Il n’y a pas de date sur comment ça prend de temps pour faire un deuil. Tant que la personne est capable de fonctionner et que cela ne devient pas un problème, il faut laisser la personne faire son chemin. Sinon, elle doit aller chercher de l’aide. La première année est la plus difficile puisque c’est la première fois pour tout. Il y a toujours un avant et un après.  », ajoute la directrice de La Traversée.

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