30 juillet 2024 - 07:01
Dossier spécial sur l’itinérance
Carrière : travailleuse de rue
Par: Alexandre Brouillard

Véronique, la travailleuse de rue rattachée à la Maison des jeunes « La Place » de Sorel, va à la rencontre de personnes marginalisées dans des endroits insalubres situés à Sorel-Tracy. Photo Alexandre Brouillard | Les 2 Rives ©

Une visite rapide chez Linda [nom fictif] a suffi à notre journaliste pour apercevoir des équipements de consommation de drogues dures. Photo Alexandre Brouillard | Les 2 Rives ©

Lorsque Mathieu [nom fictif] sortira de sa chambre, il trouvera environ 200 $ de nourriture devant sa porte. Photo Alexandre Brouillard | Les 2 Rives ©

Véronique, la travailleuse de rue rattachée à la Maison des jeunes « La Place » de Sorel, va à la rencontre de personnes marginalisées dans des endroits insalubres situés à Sorel-Tracy. Photo Alexandre Brouillard | Les 2 Rives ©

Une jeune prostituée ouvre la porte, intriguée. Une autre femme, plus âgée et en pleurs, habite à quelques portes de là. Entre deux seringues laissées sur sa table, elle explique s’être fait voler ses derniers chèques de pension de vieillesse par un « ami ». Un homme à bord de son camion semble à la recherche d’une compagne pour quelques minutes de plaisir. Qui s’intéresse à ce genre d’endroit? Qui prend soin de ces personnes en marge de la société? La seule travailleuse de rue de la région, Véronique.

Le 15 juillet, notre journaliste a accompagné Véronique dans les fonctions qu’elle occupe depuis neuf ans. Après quelques heures passées à ses côtés, outre les événements décrits en début de texte, on assiste à des scènes plus humaines les unes que les autres. Sourires sincères, pleurs, compassion et joie ont ponctué les rencontres que la travailleuse de rue a eues sous son regard attentif.

Lors de cette journée, l’une des tâches était de rendre visite à des gens qui logent temporairement dans un bâtiment de chambres locatives dans la région. L’objectif est de leur fournir de la nourriture et des équipements d’injection et d’inhalation sécuritaire. Avant de s’y rendre, Véronique a récupéré des boîtes de nourritures à La Porte du Passant et au Centre d’action bénévole (CAB) du Bas-Richelieu, des partenaires clés dans ses fonctions.

Arrivés avec plusieurs vivres à cet endroit, dont nous taisons volontairement le nom, un monde totalement différent s’est ouvert à eux : prostitution, drogues dures, insalubrité et précarité. « Je suis souvent le dernier pilier de confiance pour ces personnes. Je ne dois donc pas les trahir. J’essaie de trouver des solutions à leurs problèmes tout en conservant leur confiance », a expliqué Véronique avant de descendre de la voiture.

Lieu inhospitalier

Malgré l’apparence inhospitalière des lieux, Véronique accomplissait ses tâches avec le sourire accroché au visage.

Dès notre arrivée, elle présente notre journaliste à Annie [nom fictif], une femme qui s’occupe du ménage des chambres et des « problèmes » qui peuvent survenir dans ce genre d’endroit. « Il y a beaucoup de consommation de drogue ici, affirme d’emblée Annie, qui ne souhaitait pas divulguer son identité. Beaucoup de gens se ramassent ici parce qu’ils n’ont plus d’autres endroits où vivre. » Selon Annie, la hausse de l’itinérance a des répercussions sur cet endroit, dont la plupart des chambres sont occupées par des personnes qui seraient en situation d’itinérance si cet endroit n’existait pas.

Après cette rencontre, Véronique commence la distribution des aliments et des équipements de consommation. La première personne rencontrée, « vraisemblablement une prostituée », est une jeune femme âgée entre 18 et 25 ans. Véronique ne l’avait jamais rencontrée. Une rapide discussion entre les deux femmes et le pont semble construit. « Je ne la connaissais pas, admet la travailleuse de rue. Je lui ai donné mon numéro et elle semblait réceptive. Annie l’avait surement prévenue de notre visite », a-t-elle révélé à notre journaliste.

Ensuite, nous sommes allés à la rencontre d’une plus vieille dame. « Elle a toute une histoire, prévient Véronique avant de frapper à sa porte. Elle doit envoyer des papiers au gouvernement pour pouvoir accéder à un HLM. Entre-temps, elle est bloquée ici. »

Après cette courte explication, Linda [nom fictif] ouvre la porte. Le dos courbé, l’air fatigué. La vie ne semble pas lui avoir donné beaucoup de repos. Elle accepte de raconter son histoire au journal. « Je dois faire mes dernières déclarations d’impôt pour crisser mon camp d’icite », s’exclame-t-elle, se tenant debout à côté d’une table où s’entassent seringues, cuillère et cendrier.

Pendant de longues minutes, elle explique pourquoi elle doit habiter dans cet endroit insalubre. « Quand la paperasse sera faite, je pourrai aller dans un HLM. Mais c’est l’enfer icite. Il y a des rats, des souris… et la nuit, je capote ben raide. Il y a plein de bébittes partout, dans mon cou, sur moi! » décrit-elle, alors que les larmes coulent sur ses joues. Selon Véronique, les bébittes seraient des punaises de lit.

Autre problème de taille pour Linda, elle a donné ses derniers chèques de pension de vieillesse à un certain ami, vraisemblablement un revendeur de drogue qui logeait au même endroit. « Je lui ai donné mes chèques de 1750 $. Il devait payer ma chambre et s’assurer que je ne manque pas de bouffe et de cigarettes. Mais il s’est poussé et je n’ai plus de nouvelles de lui », laisse tomber la dame âgée.

Entre-temps, un homme circule lentement en camion dans le stationnement. Il serait à la recherche d’une femme pour assouvir ses désirs. Un simple clin d’œil aurait suffi à le faire sortir de sa voiture.

Malheureusement, la troisième personne que devait rencontrer la travailleuse de rue ne répond pas, malgré que Véronique frappe à sa porte tout en l’interpellant. « Mathieu [nom fictif]! C’est Véronique, je viens te porter de la nourriture. Ouvre-moi s’il te plait », s’époumone-t-elle. Alors que Mathieu ne répond pas, la boite avec plus ou moins 200 $ de vivres est laissée devant sa chambre.

Faire le vide

Ces quelques heures passées aux côtés de la seule travailleuse de rue de la région ne sont que la pointe de l’iceberg des nombreux enjeux présents dans la région : consommation, itinérance, santé mentale, prostitution, etc.

Par chance, des personnes telles Véronique ou même des organismes comme le CAB et La Porte du Passant viennent en aide à ces marginalisés.

« Ce n’est pas un métier facile parce qu’on s’immisce dans des situations qui sortent de l’ordinaire. Mais on doit venir en aide à ces personnes. Après, de mon côté, j’ai dû apprendre à tirer la plug et à faire la part des choses entre ma vie personnelle et professionnelle », a confié Véronique avant de quitter notre journaliste pour poursuivre sa journée de travail.

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