Avec son sourire habituel, elle m’a accueilli comme si ne rien n’était. Si je n’avais pas été informé de son état de santé, je n’aurais jamais pu deviner.
Karine mordait dans la vie. Guidée par ses deux jeunes garçons, tout aussi dynamiques que leur mère et d’un mari des plus compréhensifs dans les circonstances, elle tentait d’en profiter au maximum.
Je doute qu’elle le savait.
Ce fut ma dernière rencontre avec elle. Elle tenait à se procurer mon dernier livre dans lequel je racontais mon passage de ma récidive de cancer.
À ce moment, nous ignorions nos avenirs respectifs. Elle aura été moins chanceuse. L’incompréhension et la frustration m’ont envahi lorsque j’ai appris la nouvelle de son décès.
La veille, lors d’un souper de la Fondation Hôtel-Dieu de Sorel, j’avais jasé avec l’infirmière qui allait l’accompagner dans ses derniers moments. J’étais renversé.
Je me suis rappelé que j’avais rencontré Karine pour la rédaction d’un texte sur le rds.ca en septembre 2018. Elle avait couru 3 h 29 au marathon de Montréal. Elle ira au mythique marathon de Boston. Son coach Karl Hébert croit qu’elle peut le courir en 3 h 15.
Toutefois, quelques semaines avant Boston, au retour d’un périple à la cabane à sucre, la voiture familiale est victime d’un carambolage. L’auto est une perte totale. Karine souffre de contusions thoraciques et d’une entorse cervicale. Elle va courir Boston avec un sac de glace dans le cou, tellement elle ressent de la douleur. À mi-parcours, elle éteint sa montre et termine pour le plaisir et la satisfaction en 3 h 57.
Puis, quelques jours plus tard, le calvaire commence.
Elle a du mal à avaler du pain. Elle croit qu’il s’agit de fâcheuses conséquences de l’accident. Elle consulte. On découvre un ulcère et une sténose. À la suite d’un voyage dans sa famille au Saguenay, elle ne cesse de vomir.
Elle retourne à l’hôpital pour des tests. Quelques jours plus tard, elle reçoit un appel téléphonique. On veut la rencontrer. Le diagnostic est lourd. Elle apprendra qu’elle souffre d’un cancer de l’œsophage. Elle avait mis son veston du marathon de Montréal lors de cette visite. Elle entend alors une infirmière dire à une autre : « Regarde, c’est une marathonienne ».
Karine engage le combat. Trois traitements de chimiothérapie, 25 de radiothérapie et une chirurgie qui durera neuf heures où on lui retire la moitié de l’estomac et 10 cm de l’œsophage. Pas question de baisser les bras. Elle veut retourner à Boston.
On lui a confié que son cancer pourrait réapparaître d’ici trois ans. « J’essaie de ne pas y penser trop souvent », me confie-t-elle, en versant quelques larmes.
Elle fait parfois des cauchemars, dans lesquels son cancer revient. « Mes enfants me font oublier la maladie. J’estime que je suis à 75 % de ma condition physique. Mon ancien corps me manque, celui qui pouvait courir 115 km par semaine. »
En 2021, je publie mon livre Inspirations, qui regroupe des textes d’histoires humaines de mes nombreux entretiens au fil des ans chez les coureurs. Je veux absolument que la sienne s’y retrouve.
Elle me déclarera : « Je réalise que sans préavis, la vie pourrait bousiller mes plans. Mais je suis assez forte mentalement pour affronter bien des choses. Je ne prends rien pour acquis, car il n’existe rien de certain dans ce bas monde ».
Karine est tombée au combat il y a quelques jours, malgré toute sa bonne volonté.
Elle va tenir sa promesse et retournera courir le marathon de Boston, mais au ciel… avec les anges!!!!