Dans un rapport de 13 pages publié le 24 mars, les biologistes Pierre Dumont, Yves Mailhot et Alain Branchaud, ainsi que le professeur et biologiste Louis Bernatchez, de la Chaire de recherche du Canada en génomique et conservation des ressources aquatiques de l’Université Laval, sont catégoriques : le projet aura des impacts importants sur l’habitat essentiel du chevalier cuivré et de surcroit, au cœur de son aire de distribution.
Cet avis scientifique est d’ailleurs disponible sur le site web de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP), qui a collaboré à la rédaction du rapport. Un des quatre biologistes, Alain Branchaud, est le directeur général de l’organisme.
« Une partie de l’habitat essentiel, du garde-manger de l’espèce, serait détruite en permanence. La phase de construction entrainerait également la remise en suspension de quantités importantes de sédiments et de contaminants pouvant affecter la reproduction de l’espèce, provoquer la destruction d’éléments dans d’autres parties de l’habitat essentiel situées en aval et, déranger des individus de l’espèce. Enfin, l’augmentation du trafic maritime dans ce secteur aurait des impacts négatifs chroniques sur l’habitat essentiel et les individus de l’espèce », lit-on dans la conclusion de l’avis scientifique.
L’Administration portuaire de Montréal (APM), responsable du projet, a toujours affirmé que toutes les mesures de compensation à prendre pour protéger pour le chevalier cuivré seront appliquées. Les principales mesures prévues pour compenser la surface impactée, soit 0,9 hectare de l’aire d’alimentation du chevalier cuivré sur les 30 000 hectares d’herbiers composant son habitat, sont la création d’au moins deux hectares d’herbier (soit au moins le double de la portion d’habitat qui sera détruite), la conception d’une étude sur la restauration des berges le long de la section est de l’île Bouchard et l’amélioration de la qualité de l’eau dans le bassin versant du Richelieu. Les spécialistes ne croient toutefois pas que cela sera réalisable.
« Il est tout simplement impossible pour les autorités fédérales d’affirmer que les mesures de compensation proposées, soit l’aménagement d’une superficie d’herbiers du double de celle détruite, permettront l’atteinte du principe de proportionnalité aux effets résiduels néfastes résultant des ouvrages, entreprises ou activités. Au contraire, les évidences disponibles dans la littérature scientifique indiquent plutôt que les mesures de compensation de l’habitat du poisson appliquées au Canada se traduisent en général en une perte nette de productivité d’habitat », soulignent les biologistes.
Rappelons que le chevalier cuivré est une espèce en voie de disparition et que son habitat essentiel a été désigné officiellement par le fédéral dans le cadre d’un Programme de rétablissement qui est entré en vigueur en 2012. Ce printemps, un arrêté ministériel sera publié dans la Gazette du Canada afin d’officialiser l’intention d’Ottawa de protéger légalement l’habitat naturel du chevalier cuivré.
« La science et le principe de précaution doivent impérativement continuer à guider la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril, particulièrement pour une espèce pour laquelle il ne reste qu’une seule population. Nous n’avons pas, dans ce dossier, le luxe de nous tromper », peut-on lire en conclusion.
Modification de l’échéancier
Appelée à réagir au rapport des biologistes, l’Administration portuaire de Montréal a convenu qu’avec 355 conditions à respecter pour protéger l’environnement, l’échéancier du projet devait être revu. Rappelons que les travaux devaient débuter cet automne afin de se conclure en 2024.
« À la lumière de ces conditions, l’ingénierie a beaucoup progressé et cela nous amène à modifier l’échéancier du projet. Le terminal n’ouvrira pas avant la fin 2025. Nous avons toujours eu comme priorité de bien faire les choses et nous avons le temps de le faire. Par le fait même, le début des travaux est décalé de quelques mois et, selon l’actuelle planification, il n’y a pas d’intervention dans l’eau avant 2023 », indique la directrice des communications de l’APM, Mélanie Nadeau.
« L’expansion du Port de Montréal à Contrecœur fait l’objet d’une planification minutieuse et le processus d’évaluation environnemental a demandé plus de cinq ans de travail, avec des centaines d’experts et une large consultation. Aucun effort n’a été ménagé et aucun effort ne sera ménagé pour que le projet soit exemplaire et que l’impact soit minimal : c’est une préoccupation continue de l’APM », poursuit-elle.
Environ 5000 emplois sont prévus pendant la phase de construction et 1000 lors de la phase d’exploitation pour ce projet qui équivaut entre 750 M$ et 950 M$. Déjà, le gouvernement fédéral a annoncé une aide de 300 M$ via la Banque d’investissement du Canada (BIC), alors que le gouvernement provincial fournira 55 M$ pour sa phase de démarrage.