28 février 2023 - 07:57
Une année depuis l’invasion de leur terre natale
Des Ukrainiens de la région toujours tourmentés par les horreurs de la guerre
Par: Alexandre Brouillard

Le 1er février dernier, un immeuble où vivent des citoyens à Kramatorsk a été bombardé par l’armée russe. Photo gracieuseté

Olena Pokhvalii souhaite voir le conflit se résorber le plus rapidement possible. Photo Pascal Cournoyer | Les 2 Rives ©

Yevgen Kostiuchenko a toujours des membres de sa famille et des amis en Ukraine. Photo gracieuseté

Déjà une année s’est écoulée depuis que les chars d’assaut russes ont envahi l’Ukraine. Un véritable cauchemar pour les immigrants ukrainiens de la région, qui se sentent bien souvent impuissants face aux horreurs que vivent quotidiennement des membres de leur famille et amis sur leur terre natale.

Le 24 février 2022 a laissé une trace indélébile dans les esprits d’Olena Pokhvalii et Yevgen Kostiuchenko. Respectivement installés à Sorel-Tracy depuis 2012 et 2018, les natifs de Kramatorsk peinent à réaliser qu’une année s’est déjà écoulée depuis le début des hostilités.

« J’y pense tous les jours, soutient d’emblée Mme Pokhvalii. Mon frère est encore là-bas et deux membres de ma famille sont dans l’armée. D’après moi, ça va durer encore longtemps. »

Depuis l’invasion, Yevgen Kostiuchenko a l’impression que la terre a arrêté de tourner. Ses parents, son frère, son beau-père et bon nombre d’amis sont toujours en Ukraine. « Ma mère habite avec mon frère, sa femme et ses deux enfants à côté de Kiev. Ils ont quitté leurs logements à Kramatorsk parce que le front de la guerre est proche et, chaque semaine, il y a deux ou trois bombardements », explique-t-il avec désarroi.

La région orientale de Donetsk, où est située leur ville natale, est l’un des principaux théâtres des affrontements entre Ukrainiens et Russes. Le 1er février dernier, deux personnes ont été tuées par un tir de missile sur un immeuble d’habitation à Kramatorsk.

Chaque jour, Yevgen Kostiuchenko pense à sa patrie et aux Ukrainiens qui combattent l’envahisseur. « Quand j’ai vu comment les Ukrainiens s’unissent pour s’entraider, j’ai réalisé que j’avais de la chance d’être né Ukrainien, car nous avons appris à être forts », lance-t-il avec émotion.

D’ailleurs, trois de ses amis font toujours partie de l’armée ukrainienne. « Un était à Bakhmut le mois passé. Il est maintenant à l’hôpital avec une pneumonie. Un autre était à côté de Zaporizhzhia. L’automne dernier, il était aussi à l’hôpital pour une contusion, mais après quelques jours, il était de retour sur le front. Le troisième est à côté de Lyman, il m’envoie plusieurs vidéos de la guerre », explique Yevgen.

Des réfugiés à Sorel-Tracy

Dans la foulée de la guerre, Olena Pokhvalii et Yevgen Kostiuchenko ont accueilli des membres de leur famille à Sorel-Tracy.

Les parents d’Olena sont arrivés en avril 2022. Fuir l’Ukraine n’a pas été de tout repos pour les sexagénaires, qui ont dû conduire l’entièreté du pays, d’est en ouest, pour rallier la Pologne. « Au début, ils restaient pour être avec ma grand-mère qui est décédée le 25 mars 2022. Puis, la situation devenait de plus en plus inquiétante. Ils ne pouvaient pas quitter en avion. Quand ils traversaient le territoire ukrainien, c’était vraiment stressant. Il n’y avait aucun panneau pour nuire aux déplacements des Russes et la communication était difficile », relate-t-elle.

Ses parents ont finalement réussi à rallier Varsovie d’où ils ont pris l’avion jusqu’à Montréal. « Ils s’adaptent très bien à leur nouvelle réalité », soutient Olena. Son père, médecin, travaille chez Nuances MJ dans l’ancienne prison de Sorel-Tracy et sa mère complète des cours de francisation.

De son côté, Yevgen a accueilli sa belle-mère l’été dernier. Cette dernière a rapidement trouvé un travail en plus d’apprendre le français à l’école. « Elle espère que la guerre se termine rapidement pour que son mari puisse la rejoindre ici. Ils sont ensemble depuis 30 ans et maintenant, elle souffre sans lui. Mais elle comprend qu’elle doit vivre. Elle essaie de commencer une nouvelle vie ici et d’en faire le plus possible avant l’arrivée de son mari », conclut-il.

Les pensées de Yevgen Kostiuchenko

Lorsqu’appelé à commenter la situation en Ukraine, Yevgen Kostiuchenko, résident de Sorel-Tracy depuis 2019, a répondu avec générosité aux questions de notre journaliste. Ce dernier désirait partager quelques pensées personnelles concernant l’invasion de sa terre natale par la Russie.

« Quand j’étais plus jeune, je pensais que je n’avais pas de chance d’être né en Ukraine plutôt qu’au Canada, en Amérique ou même dans un pays européen développé. En 30 ans, en Ukraine, j’ai survécu à quatre crises économiques, deux révolutions et une guerre inachevée. C’est la guerre de 2014, qui a traversé ma ville de Kramatorsk et qui s’est arrêtée à 100 kilomètres de chez moi, qui m’a obligé à quitter mes lieux et mes habitants pour que mes enfants aient de la chance.

Je suis arrivé au Canada en 2019 et j’ai été impressionné par la confiance et la gentillesse des gens. Mais ma patrie me manquait et je me demandais constamment si j’avais bien fait de la quitter. Lorsque la guerre de 2022 a commencé, une telle question ne se posait plus.

Puis, une vie différente est venue où chaque jour je ressens de la douleur. Un anniversaire, le jour de l’achat de la première maison, des vacances en mer : ces jours devraient être heureux, mais ils sont souillés par l’ombre de l’horreur de la guerre. Je pense constamment au nombre de personnes tuées chaque jour et que mes amis ou ma famille peuvent être parmi eux.

Je suis très reconnaissant de l’aide et du soutien octroyés à ma patrie par tous les pays, dont le Canada. Sans cette aide, la Russie aurait repris toute l’Ukraine et tué tous ceux qui n’acceptaient pas de vivre selon ses règles. Mais la guerre n’est pas finie et l’Ukraine a encore besoin d’aide. La guerre ne peut pas se terminer avec la capitulation des Ukrainiens, car nous n’avons nulle part où battre en retraite. Par conséquent, plus l’Ukraine reçoit d’aide, plus tôt la guerre se terminera et l’inflation dans le monde entier s’arrêtera. L’Ukraine va certainement gagner, mais quand, et surtout à quel prix (combien de vies, de douleur et de peur devons-nous encore payer)? Cela dépend de vous aussi.

Je sais que certains peuvent commencer à me détester pour mon histoire et pour avoir demandé de l’aide, mais je suis prêt pour ça, parce que ce n’est rien comparé à ce que mes amis ressentent dans les tranchées jour et nuit. »

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