C’est l’information qu’a révélée Oscar Cuellar, le directeur du terminal de Richardson, à notre journaliste, 48 heures après l’acmé des émissions de poussières.
« Nous sommes bien au fait de la situation et nous sommes vraiment désolés pour les désagréments et les nuisances. Évidemment, on chargeait un bateau et dès qu’on a constaté la situation, on a ajusté nos opérations pour réduire les impacts. Nous avons dû réparer une turbine de canalisation de particules qui a brisé. C’est ça qui nous permet de contrôler les poussières », explique M. Cuellar.
Par ailleurs, il assure que cet épisode n’a aucun lien avec un vent soufflant vers le centre-ville. « C’est vraiment dû à un bris mécanique », assure-t-il.
Deux solutions non retenues
Récemment, la conseillère scientifique en chef de la Ville de Sorel-Tracy, Claude Maheux-Picard, a été appelée afin d’aider Richardson à trouver de nouveaux moyens pour éliminer les émissions de poussières. Cette dernière est également directrice générale du Centre de transfert technologique en écologie industriel (CTTÉI) et siège sur le comité de vigie.
Sommairement, Mme Maheux-Picard proposait de mesurer et transmettre en continu le taux de particules en suspension dans l’air et la force et la direction des vents.Toutefois, ses propositions ne seront pas retenues, pour l’instant, par la multinationale, qui préfère attaquer la source du problème.
Oscar Cuellar explique que Richardson a l’intention d’incorporer une huile minérale au maïs ou même au soya avant les déchargements pour éviter encore plus les rejets de poussière. En avril 2023, cette solution avait déjà été évoquée par M. Cuellar à la suite d’un autre épisode de poussière. « On n’était pas contre l’idée, mais notre approche est plutôt d’attaquer la source », explique le directeur du terminal, rappelant qu’une somme de 1,3 M$ avait été injectée dans les installations pour diminuer les poussières.
De son côté, Claude Maheux-Picard n’est pas amère face à la décision de l’entreprise, précisant qu’elle est là pour aider dans le meilleur de ses connaissances. « L’important, c’est qu’ils s’activent pour diminuer les émissions de poussières, dit-elle. Plein de solutions existent pour réduire les nuisances. Il n’y aura jamais de risque zéro. »
Printemps plus occupé
Normalement, la période névralgique de manutention chez Richardson est l’automne. Ainsi, l’activité printanière 2025 sort de l’ordinaire. « Le volume de céréales a augmenté considérablement entre 2024 et 2025 », admet Oscar Cuellar.
D’ici la mi-juin, d’autres opérations de manutentions sont prévues. « Il y aura une diminution significative des activités à la mi-juin », estime-t-il.
Sanction administrative de 10 000 $
Le ministère de l’Environnement a transmis un avis de non-conformité à Richardson International le 30 septembre 2024 concernant l’émission de particules à l’environnement. Une sanction administrative pécuniaire de 10 000 $ a été signifiée à l’entreprise le 16 avril 2025. Finalement, le ministère planifie actuellement une nouvelle campagne de caractérisation de l’air ambiant dans le secteur de l’entreprise. Elle pourrait débuter en 2025.
Patrick Péloquin compte bien mettre au pas Richardson International
Patrick Péloquin en a ras le pompon. « Pour moi, ça suffit! » a lancé le maire de Sorel-Tracy à notre journaliste le 26 mai, au lendemain du plus récent épisode d’émanation de poussière provenant de Richardson International.
Cet épisode survenu les 24 et 25 mai derniers est la goutte qui fait déborder le vase. Le maire interpelle donc publiquement la multinationale pour qu’elle adopte des mesures qui mettront un terme à la problématique. « Chaque événement de poussière est un événement de trop! […] Richardson doit s’impliquer. On a assez ri de nous », lance-t-il sans détour.
« Je ne comprends pas pourquoi l’entreprise charge lorsque les conditions météorologiques sont défavorables, c’est-à-dire lorsque le vent arrive du large vers le centre-ville », ajoute M. Péloquin.
Bien au fait des plus récents investissements de Richardson pour diminuer ses émanations de poussière, le maire est plutôt contrarié par la réponse que l’entreprise a fournie à Claude Maheux-Picard, qui proposait de mesurer en temps réel le taux de particules en suspension dans l’air ainsi que la force et la direction des vents. Pour lui, il est « inacceptable » de refuser l’accompagnement de la conseillère scientifique en chef de la Ville.
« Ces données permettraient de prévenir les épisodes problématiques et d’intervenir plus rapidement en cas de non-conformité. Bref, quand le vent souffle vers le centre-ville et quand il y a trop de particules dans l’air, il ne faut pas faire de chargement », mentionne Patrick Péloquin.
Ainsi, le maire a bien l’intention de serrer la vis, en modifiant le règlement sur les nuisances de la Ville pour forcer Richardson à changer ses pratiques. « Au besoin, la Ville pourra donner des contraventions », prévient-il. Ce règlement sera pensé pour protéger la santé publique, la qualité de l’air et la qualité de vie des citoyens.
Déménager l’entreprise, une piste de solution écartée
Questionné concernant la possibilité de forcer Richardson International à déménager ailleurs, notamment dans la ZIP Saint-Laurent du côté de Tracy, Patrick Péloquin confie que cette option n’est pas à l’étude.
« La Ville pourrait exproprier l’entreprise, mais c’est un processus coûteux. Ce n’est pas une avenue qui est retenue », admet-il.
De son côté, Jean-Bernard Émond, député de Richelieu, affirme que cet épisode d’émission de particules est inacceptable. « Nous sommes tous conscients des enjeux en cause, mais il semble clair que, malgré les mécanismes déployés par l’entreprise et les investissements réalisés, les résultats ne sont pas à la hauteur. Il faudra s’assurer que toutes les conditions sont réunies avant de procéder à tout chargement de grains. Je demeure en contact étroit avec le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs afin de suivre la situation de près », écrit-il par courriel.
Finalement, Louis Plamondon, député de Bécancour-Nicolet-Saurel-Alnôbak, assure suivre la situation de près. Rappelons que les ports sont de juridiction fédérale. « Je surveille le dossier et je travaille avec le maire ainsi qu’avec le comité de surveillance. Au besoin, je vais mettre en contact les autorités fédérales avec les gens du municipal », promet-il.
Un combat citoyen depuis 45 ans
« Au fil des ans, le ministère reçoit des plaintes concernant la présence de poussière de céréales dans le secteur commercial du centre-ville de Sorel. Ces poussières proviennent de la compagnie James Richardson. Même si le ministère a déjà envoyé deux avis d’infraction, soit le 17 décembre 1998 et le 10 décembre 2003, le problème existe toujours ». Voilà ce que révèle un document du ministère de l’Environnement datant de 2005.
Ainsi, les deux épisodes d’émanation de poussière provenant des installations de Richardson International en 2025, soit le 17 mars ainsi que les 24 et 25 mai, ne sont pas un nouveau phénomène. Déjà au tournant du siècle, les activités de transbordement de l’entreprise plongeaient le centre-ville sorelois dans d’opaques nuages de poussière visibles à l’œil nu.
Rencontrée au lendemain du second épisode, Corina Bastiani, résidente de la rue de la Reine et présidente de la Société de valorisation du centre-ville de Sorel-Tracy, rappelle que le mécontentement face aux activités de la multinationale ne date pas d’hier. « C’est clair que c’est plus intense que dans les années passées. […] C’est un problème récurrent avec des notions de santé publique, d’esthétisme et de bonne vitalité du centre-ville. Que ce soit les résidents ou les commerçants, on vit tous avec la problématique », détaille-t-elle.
Le jour de la marmotte
Lors du week-end du 24 et 25 mai, plusieurs personnes ont émis sur les réseaux sociaux un ras-le-bol concernant les émanations de poussière, un fléau qui perdure depuis plusieurs décennies. « Hier [25 mai], j’ai vu plusieurs publications de gens sur les réseaux. Je ne suis pas la seule à constater le problème. C’est non seulement de la poussière dans l’atmosphère, mais c’est aussi une odeur agressive », mentionne Corina Bastiani.
Déjà en 1980, Pierre Verrier, l’ancien gérant du commerce Verrier Prêt à porter, avait rédigé une lettre pour rapporter « une situation déplorable au centre-ville, soit celle de la pollution causée par les élévateurs à grains ». Ce dernier espérait « un air respirable et non rempli de poussière de grain qui s’infiltre partout sous l’action du vent ». Puis, 45 ans plus tard, soit en mars dernier, son frère Serge soulignait l’absurdité de la situation sur Facebook. « Voici une demande qui a été écrite par mon frère il y a 45 ans. Comme quoi le problème n’est pas nouveau! » écrivait-il.
Impunité
Malgré la multiplication de plaintes, de rapports d’inspection et d’avis d’infraction, dont Les 2 Rives a obtenu copie, Richardson semble pouvoir poursuivre ses activités en toute impunité au centre-ville de Sorel-Tracy.
Par exemple, en 2003, un inspecteur avait constaté des activités chez Richardson qui contrevenaient au règlement sur la qualité de l’atmosphère lors de déchargements de navires. À l’époque, l’entreprise avait signifié que des modifications de dépoussiéreurs étaient en cours. Un nouvel avis d’infraction avait été transmis, accompagné par un avertissement que des « mesures appropriées » seraient adoptées à défaut de ne pas se conformer.
Puis, 20 ans plus tard, alors que la Direction de santé publique de la Montérégie rendait publique une analyse réalisée entre 2019 et 2021 qui soutenait que les activités de l’entreprise au centre-ville de Sorel-Tracy affectaient considérablement la qualité de l’air, l’entreprise soutenait toujours que de nouvelles mesures d’atténuation avaient été adoptées après que la caractérisation de l’air ambiant ait été effectuée. Rappelons que ladite étude démontrait que divers problèmes de santé étaient deux fois plus présents au centre-ville de Sorel-Tracy et à Saint-Joseph-de-Sorel qu’ailleurs au Québec.
Des commerçants exaspérés
Ainsi, depuis près d’un demi-siècle, les émanations de poussière exaspèrent les commerçants du centre-ville. « Lors du chargement d’un bateau, le vent qui venait du nord a emporté la poussière vers le centre-ville, ce qui a occasionné des désagréments aux bars-terrasses », peut-on lire dans un document de ministère de l’Environnement datant de 2005.
Vingt ans plus tard, des restaurateurs sont toujours exaspérés par la même situation. C’est le cas de Jean-Philippe Boulet, propriétaire du restaurant Le Fougasse. « C’est sûr qu’on n’aime pas ça, admet-il. C’est nuisible, mais je pense que la cohabitation est possible. Plusieurs ports à travers le monde cohabitent avec un milieu urbain. Il existe des solutions, elles doivent seulement être mises de l’avant avec l’argent nécessaire. »
En plus d’être aux premières loges comme restaurateur, M. Boulet siège sur le comité de vigie. « Sur le comité, l’entreprise est très transparente. Elle semble vouloir s’améliorer, mais les résultats tardent à venir », mentionne-t-il.
Finalement, Jean-Philippe Boulet espère que Richardson cessera ses activités de transbordement lorsque le vent souffle vers le centre-ville. « Des événements comme dimanche dernier [25 mai], ça nuit aux commerçants du centre-ville », conclut-il.