Le vendredi 24 septembre, Aude Lavallée entrait travailler comme elle le fait d’habitude le vendredi, après ses cours de cinquième secondaire à l’École secondaire Fernand-Lefebvre. Vers 17 h 15, elle voit une femme courir vers le Fougasse. C’est une serveuse du Cactus Café, en panique, qui vient chercher de l’aide.
« Elle demandait une infirmière ou quelqu’un qui avait ses cours de premiers soins. Je n’ai pas hésité et j’ai couru avec elle vers la Taverne centrale, où j’ai vu un homme par terre. Je ne m’attendais pas à ça… Il faisait des convulsions et quand je suis arrivée à côté de lui, il a arrêté d’un coup et n’avait plus de pouls », raconte la jeune femme de 16 ans avec un aplomb déconcertant.
Un homme était déjà penché sur la victime et effectuait des manœuvres de réanimation. Elle a alors pris sa place pour mettre en pratique ce qu’elle avait appris dans ses cours de RCR en janvier 2019.
« On avait une belle équipe parmi tout le monde qui était là. J’ai pratiqué le massage cardiaque pendant 10 ou 15 minutes, mais pendant ce temps, quelqu’un était au téléphone avec le 911, une autre personne comptait les pulsions et une autre regardait s’il y avait un pouls », mentionne-t-elle avec humilité.
« Je me suis toujours demandé comment j’allais réagir dans une situation réelle, poursuit-elle. Rendu là, on n’avait plus rien à perdre, parce que si on n’intervenait pas, il allait y rester. Je le sentais revenir de temps en temps, mais on le perdait tout de suite. Il avait des réflexes respiratoires. Quand les ambulanciers l’ont pris en charge, on avait fait tout ce qu’on pouvait. »
L’adolescente est ensuite retournée travailler pour son quart de travail au restaurant Le Fougasse. Vers 19 h, soit près de deux heures après l’intervention, elle a appris avec soulagement que Raymond Boisvert avait repris connaissance et était en route vers l’Institut de cardiologie de Montréal pour être opéré. Plus tard, elle a appris qu’il allait s’en sortir grâce à l’oxygène fourni à son cerveau en raison des manœuvres exercées sur lui.
« Après le rush du souper, l’adrénaline est tombée et les genoux ont flanché. Je venais de réaliser ce qui s’était passé. J’étais vraiment sous le choc, c’est une expérience tellement difficile à décrire, mais dont je vais me souvenir toute ma vie », admet-elle.
Reconnaissant
Homme bien connu de la Taverne centrale pour y travailler depuis plusieurs années, Raymond Boisvert se porte mieux aujourd’hui. Aux soins intensifs de l’Hôtel-Dieu de Sorel, il a gentiment ouvert la porte à notre journaliste. Son but premier était de remercier Aude Lavallée.
« Je ne pourrai jamais la remercier assez. C’est comme une deuxième naissance pour moi », raconte l’homme de 69 ans, de son lit d’hôpital.
Avant d’aller boire une bière à la Taverne centrale avec ses amis, M. Boisvert avait même fait une longue marche au parc Regard-sur-le-Fleuve et au quai Catherine-Legardeur. Il se sentait bien cette journée-là, mais il n’a plus aucun souvenir du moment où il était assis à la taverne jusqu’à l’hôpital.
« Les médecins me parlent d’une arythmie cardiaque sévère. Je ne fais presque pas de cholestérol et je n’ai pas d’artère bouchée. C’est arrivé d’un coup, sans prévenir », constate-t-il.
Dans l’intervention, Raymond Boisvert a eu neuf côtes cassées. Il a aussi un mal de dos puisqu’il était couché dans un lit depuis trois jours. Mais ce sont de bien petits maux à endurer pour pouvoir continuer à profiter de la vie.
« Je suis soulagé, il n’y a pas de dommage au cerveau. Certains de mes chums vont dire que j’en ai, des dommages au cerveau, par exemple! », lance-t-il en éclatant de rire.
Une rencontre marquante
Le 30 septembre dernier, Aude Lavallée et Raymond Boisvert ont pu se rencontrer aux soins intensifs de l’Hôtel-Dieu. L’émotion était à son comble alors que le frère et la femme de M. Boisvert l’ont remerciée à plusieurs reprises, les yeux dans l’eau, de lui avoir sauvé la vie. L’équipe d’infirmières aux soins intensifs l’a également félicitée pour avoir usé de sang-froid dans une telle situation.
« Ce sont des émotions difficiles à expliquer. J’étais un peu figée au début, c’est tellement d’amour que j’ai reçu », témoigne Aude Lavallée, qui a remis en cadeau, à Raymond Boisvert, une épinglette intitulée « L’ange gardien » en souvenir de ce jour marquant.
« Je me questionne maintenant sur mon choix de carrière »
Cette intervention marquera Aude Lavallée à jamais. Même qu’elle a ravivé un rêve enfoui de l’adolescente, celui de devenir cardiologue.
Comme elle est en cinquième secondaire, Aude Lavallée a jusqu’au 1er mars prochain pour s’inscrire au cégep. Elle comptait se diriger en sciences humaines avec mathématiques pour faire carrière en réalisation de films ou en entrepreneuriat. Ça, c’était avant l’intervention du 24 septembre.
« Je me questionne maintenant sur mon choix de carrière, avoue-t-elle. Quand j’étais en secondaire 1 ou 2, la médecine m’intéressait, surtout l’anatomie. L’ironie, c’est que moi-même j’ai une maladie du cœur rare, et quand j’allais voir mon cardiologue, j’étais fascinée par ce qu’il disait. Je voulais donc être cardiologue, mais les études longues, je trouvais ça intense. Reste que j’ai toujours eu ce rêve en moi et tout ça a ravivé ce rêve. »
Aude Lavallée est née avec le syndrome de Wolff-Parkinson-White. Comme elle avait trois faisceaux électriques au lieu de deux, son cœur pouvait battre très vite, même à plus de 400 battements par minute. Après une opération visant à brûler à froid un de ses faisceaux, elle n’a plus eu de problème. « C’est une des raisons pourquoi le cœur m’a toujours intéressée », conclut-elle.