18 février 2021 - 06:40
Pénurie de personnel à la DPJ en Montérégie
« L’hémorragie des centres jeunesse, c’est majeur »
Par: Deux Rives

Les centres jeunesse de la Montérégie font constamment face à des défis de recrutement et de rétention du personnel, critique l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux. Photo François Larivière | Le Courrier ©

Un texte d’Olivier Dénommée

La série documentaire Au cœur de la DPJ, diffusée depuis quelques semaines sur RDI, pose un regard inédit sur la réalité des intervenantes de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dans un contexte où les services de la protection de la jeunesse ont été mis à mal par l’actualité des dernières années. Mais le défi principal est d’arriver à convaincre les personnes d’entrer et surtout de rester dans ce milieu, croit l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

C’est le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est (CISSSME) qui a le mandat régional en protection de la jeunesse pour l’ensemble de la Montérégie. « Environ 600 personnes [travaillent] dans les différents services de la protection de la jeunesse (réception et traitement des signalements, évaluation/orientation et application des mesures). De 10 à 15 % de ces postes sont vacants ou des absences non comblées », affirme par courriel Hugo Bourgoin, conseiller aux relations médias au CISSSME, précisant que plusieurs de ces absences sont causées par des congés de maternité. « Notre établissement est en recrutement continu (recrutementcisssme.com) et a le souci de bien accompagner son personnel », ajoute-t-il.

Le portrait que dresse l’APTS est beaucoup plus sombre, visant davantage les problématiques de santé mentale causées par la surcharge de travail, particulièrement en centres jeunesse, comme étant la cause de la majorité de ces absences. « Beaucoup de gens ont les centres jeunesse tatoués sur le cœur, mais avec la surcharge et les quotas, ça rend difficile un travail qui implique déjà une charge émotive lourde. Tu ne peux pas juste dire qu’à 16 h 30, ta journée est finie, tu travailles avec des cas humains », note Joël Bélanger, président de l’exécutif local de l’APTS de la Montérégie-Est.

Cela en pousse plusieurs, selon le syndicat, en absence maladie, ce qui a pour effet d’en remettre encore plus sur les épaules de ceux qui restent. « Les équipes ne sont déjà pas complètes et, en plus, beaucoup de gens partent en maladie, ce qui crée un cercle vicieux en matière de surcharge, ajoute Émilie Charbonneau, représentante nationale de l’APTS pour la Montérégie-Est. Quand les gens ont la chance de s’en aller ailleurs, bien souvent ils le font. Pas parce qu’ils n’aiment pas la cause, mais pour une question de santé. Le taux de roulement pour un éducateur en centre jeunesse est d’environ un an. »

Selon les derniers chiffres que Mme Charbonneau a fournis au journal Les 2 Rives, 55 postes étaient toujours non pourvus en centres jeunesse sur le territoire de la Montérégie.

« Le problème que l’on a est de faire signer la bonne chose au médecin traitant. Le diagnostic que l’on voit souvent est trouble de l’adaptation avec humeur dépressive. Plusieurs choses peuvent mener à ça, comme une séparation ou des problèmes personnels, mais on sait qu’une grosse part du mal est attribuable au stress lié au travail », martèle Joël Bélanger.

L’annonce du décès soudain de deux intervenantes de 23 et 26 ans en DPJ du CIUSSS Centre-Sud de l’île de Montréal, le 8 février dernier, met d’ailleurs plus que jamais sous les projecteurs les difficultés et les problèmes de santé que traversent les intervenantes en DPJ.

Exode

L’APTS sent que la protection de la jeunesse est l’« enfant pauvre » des services de la santé et des services sociaux au Québec. « La grande réorganisation et les fusions ont créé un exode en centres jeunesse parce qu’il était devenu possible d’appliquer sur d’autres postes sans perdre son ancienneté tout en passant devant les autres. Par exemple, après la négociation locale en juin 2019, l’employeur a décidé de ne pas afficher certains postes dans les programmes jeunesse en CLSC parce qu’il savait que les gens en centres jeunesse appliqueraient. Pour l’organisation, ces employés restent dans la DPJ, mais pour nous, c’est une perte en centres jeunesse », relate M. Bélanger.

Même si le gouvernement Legault a promis la création de nouveaux postes, bien peu de candidats ont répondu à l’appel, selon le syndicaliste. « Un investissement annoncé par le ministre Lionel Carmant a permis la création de 67 postes. Là-dessus, plusieurs sont restés vacants et la majorité des postes octroyés l’ont été à des gens qui étaient déjà titulaires d’un poste ailleurs… Ça n’a jamais ajouté de nouveau personnel », déplore-t-il.

M. Bélanger ne blâme toutefois pas les employés qui quittent au bout de quelques années. « Ceux qui veulent appliquer en centres jeunesse pourront y entrer facilement, mais le personnel y est plus jeune et a besoin de support parce que les séniors quittent bien souvent pour aller en CLSC afin d’avoir moins de charge et retrouver un équilibre familial plus sain. »

Selon lui, 500 dossiers étaient toujours en attente d’évaluation à la DPJ de la Montérégie en début d’année, ajoutant encore du poids sur le dos des intervenants à bout de souffle. « On ne veut pas faire de parallèle avec la tragédie de Granby, mais avec la surcharge, c’est inévitable qu’on va l’échapper à un moment donné. »

Faire cesser l’hémorragie

Le syndicat n’est pas tendre à l’égard du gouvernement et se montre sceptique par rapport à sa volonté de véritablement régler les problèmes de la DPJ. « La commission Laurent a déjà fait ses premières recommandations, mais le gouvernement n’en a pas mis la moitié en place. Si on veut une jeunesse en santé, il faut donner les moyens aux intervenants d’agir de façon adéquate, critique M. Bélanger. On sait déjà pas mal ce qui se trouvera dans le rapport final, et personne ne tombera en bas de sa chaise lorsqu’il sortira, alors pourquoi attendre? »

Il espère que tous les acteurs en protection de la jeunesse s’assoiront ensemble pour trouver les solutions qui s’imposent plutôt que de laisser « quelques gestionnaires » décider de la marche à suivre pour régler les problèmes. « L’hémorragie des centres jeunesse, c’est majeur. C’est un problème de société. Il ne suffit pas de patcher. »

Si l’APTS voit du bon dans la diffusion de la série Au cœur de la DPJ pour en inciter quelques-uns à tenter leur chance à la protection de la jeunesse, le défi sera de les faire rester. « Ça ne va pas bien en ce moment, mais à entendre le niveau de souffrance sur le terrain, on sait que beaucoup de gens sont sur le point de devoir partir en maladie ou considèrent sérieusement de partir si rien ne change… Est-ce que le gouvernement va relever le défi de transformer les centres jeunesse en employeurs de choix? », conclut Émilie Charbonneau, misant sur les négociations nationales entre le gouvernement et le secteur de la santé et des services sociaux pour voir un changement concret.

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