20 février 2024 - 08:13
[OPINION DU LECTEUR] 53C, rue Augusta, Sorel
Par: Deux Rives

Hier encore, je faisais mes boîtes, c’était le jour du déménagement. Je quittais un environnement paisible, en pleine nature. Mon père François, peu enclin aux émotions, me pressait : « Jean, tu vas aimer ça, en plein centre-ville, près de tout. » Je partais avec nostalgie d’un lieu de verdure exhalant la fraîcheur et le calme.

Arrivée en ville, le 53C devenait mon point d’ancrage. Je plantais mes deux pieds dans la modernité des années 50 : agitation, excitation, exploration et fébrilité seront des éléments que je devrais très tôt apprivoiser.

Je fis connaissance rapidement avec les filles et garçons du quartier. Nous formerons une belle bande. Avec eux, j’explorerais le territoire du centre-ville, notre chasse gardée.

Inventifs et imaginatifs, nous élaborions des jeux qui suscitaient de l’entrain, même si, des fois, ils se terminaient en queue de poisson, normal dans un groupe!

En peu de temps, j’ai développé une amitié et une solidarité avec mes ami(e)s du coin. Une appartenance très forte s’est soudée à mon nouveau milieu de vie, la ville. Avec le recul, 65 ans plus tard, je peux vous confirmer que nous étions des pré-adolescents très curieux, débrouillards, rieurs, espiègles et éveillés à notre environnement urbain, aux changements culturels et aux nouveautés : la mode vestimentaire plus relâchée, la musique plus rythmée, les films au cinéma, la télé couleur (septembre 1966) et l’automobile au profil plus sportif.

L’influence américaine nous tombait dessus et nous l’appréciions. Plus tard, nous appellerons cette période, l’âge du vintage. Claude Meunier l’a très bien dépeint, meublé et vêtu en utilisant la caricature et l’humour dans la série télévisée La Petite Vie.

C’est avec ma mère Isabel que j’ai appris l’art de magasiner en maniant le plaisir et le flair. Fort de ces atouts, mes amis et moi parcourions, durant la fin de semaine, le mythique et légendaire quadrilatère du centre-ville. Selon nos goûts, la tendance et la vogue, quelques sous en poche, ou simplement pour flâner, nous franchissions ces temples du commerce sorelois. Le Woolworth’s, le United, Charles Arpin, la papeterie Richelieu, Chez Weilbrenner, la librairie Marcel Wilkie, Jos Jalleo ou Laramée Sport.

Après ces promenades et ces courses parfois improvisées, farcies de rires spontanés et gratuits, il fallait bien aller se restaurer. Alors que nos éclats de voix devançaient, nous entrions affamés chez Lambert, Rheault, Nadeau, Ducharme, au Rustik, au comptoir du terminus ou à la fontaine du Woolworth’s.

Nous étions sympathiquement insouciants et téméraires à la fois, mais avec de la bonne humeur à revendre. Selon le dicton Demain sera un autre jour et j’ajouterais …meilleur et plus surprenant qu’hier, nous étions libres et heureux, jamais insolents; un peu arrogants, l’âge nous le permettant.

Un autre endroit nous attirait, le marché Richelieu. Il grouillait de vendeurs, de clients, de crieurs et de curieux, ces gens venaient de la ville et de la campagne. Un beau spectacle verbal où paroles, cris et plaisanteries s’entremêlaient. Cela nous amusait, mais pas plus. Nous traversions le marché à l’intérieur d’un bout à l’autre. Les étals des bouchers nous intéressaient peu, mais il y avait au centre deux comptoirs qui agaçaient nos papilles gustatives : celui de la Laiterie Sorel avec son fameux fromage en « crottes » et celui de monsieur Labonté avec ses délicieux et odorants beignes au miel, un arrêt obligatoire.

Notre randonnée se poursuivait avec une dose d’énergie très juvénile vers le carré Royal. En soirée particulièrement, il devenait notre centre d’attirance, de rencontres où passer de bons moments. Il y avait foule, certains soirs… Le mercredi, l’Harmonie Calixa-Lavallée y donnait des concerts sous la direction de M. Georges Codling. Combien de flirts hésitants, de rapprochements souhaités, d’aventures rêvées et d’amourettes désirées naquirent et moururent sur les discrets et célèbres bancs blancs du parc? Le carré Royal, pour moi, demeure le plus chaleureux et précieux témoin de notre patrimoine socioculturel urbain, une fierté pour nous tous, Soreloises et Sorelois.

Jean Rajotte, Sorel-Tracy

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