La guerre commerciale avec les États-Unis est le dernier argument brandi par l’Administration portuaire de Montréal (APM) pour justifier l’urgence d’agir. Les droits de douane et l’incertitude sont sur toutes les lèvres. Or, les décideurs politiques oublient un angle mort économique majeur : le déclin de la route maritime du Saint-Laurent pour transporter des conteneurs. Cette tendance lourde et chiffrée ne fait pas la manchette.
Selon les statistiques tirées de rapports annuels du Port de Montréal et d’une étude de marché de la firme d’ingénierie WSP, depuis 25 ans, les ports de New York, de Baltimore, de Norfolk et de Savannah ont accaparé la croissance du marché du Midwest et marginalisé par conséquent le port de Montréal (le seul port de conteneurs sur le Saint-Laurent). En 2001, environ 50 % du transport de conteneurs sur le Saint-Laurent provenait du marché du Midwest. En 2011, c’était tombé à 30 %. En 2019, avant la pandémie de COVID-19, nous étions rendus à 13 %. En 2023, on parlait de 9 %. Cela devrait à tout le moins faire réfléchir les principaux acteurs et tout simplement annuler une fois pour toutes les volontés d’agrandissement du port de Montréal. La question est cruciale : allons-nous recréer un autre fiasco du type aéroport de Mirabel à Contrecœur?
Les raisons du déclin du Saint-Laurent
Comment expliquer la chute vertigineuse de la part du transport de conteneurs sur le Saint-Laurent provenant du marché du Midwest? Il y a trois raisons fondamentales, disent les spécialistes :
1. La capacité des porte-conteneurs est de plus en plus grande. En 2000, les plus gros navires pouvaient transporter de 6000 à 8500 conteneurs.. Aujourd’hui, on parle de 21 000 à 25 000 conteneurs.
2. Les ports en eau profonde de la côte est américaine ont investi des dizaines de milliards de dollars au fil des ans pour être capables d’accueillir ces navires de plus en plus gros. Par exemple, le Plan d’immobilisation du port de New York (2017-2026) s’est élevé à 32 milliards de dollars américains.
3. Le Port de Montréal – le seul port de conteneurs sur le Saint-Laurent – n’est pas situé en eau profonde et ne peut donc pas accueillir les gros porte-conteneurs. Les cargos qui viennent dans la métropole ne sont dotés que d’une capacité moyenne de 4500 conteneurs.
C’est une logique économique implacable dans l’industrie maritime : plus les bateaux sont gros, moins le prix pour transporter un conteneur est élevé en raison des économies d’échelle. Aussi, pour être en mesure de faire ces économies, des compagnies maritimes préfèrent donc de plus en plus passer par les ports de la côte est plutôt que par le port de Montréal.
À terme, des entreprises du Québec qui exportent en Europe et en Asie pourraient de plus en plus devoir passer par un port de la côte est américaine au lieu d’utiliser naturellement le port de Montréal. Le risque est le même pour l’import : des marchandises pourraient arriver de plus en plus à Montréal et à Toronto par train, et ce, après avoir été déchargées auparavant au port de New York, par exemple.
À court terme, dans le contexte de la guerre tarifaire et de l’incertitude qui affectent la plupart des entreprises qui ont des échanges avec les États-Unis, des projets d’investissement sont mis sur la glace et des PME risquent de manquer de liquidités. On comprend que les entreprises aient actuellement toute l’attention de la classe politique au Québec et dans le reste du Canada. Toutefois, à long terme, la marginalisation du port du Saint-Laurent représente une menace aussi importante, voire pire, pour nos entreprises et notre économie. C’est sans parler du fait que pour espérer corriger le tir un jour, il faut prendre des décisions importantes dès maintenant.
En début d’année, une dizaine d’intervenants au Canada et aux États-Unis se sont réunis pour identifier des pistes de solutions pour stopper le déclin du Saint-Laurent et attirer à nouveau les grandes compagnies maritimes. Aucune d’elles ne recommande sérieusement l’agrandissement du Port de Montréal à Contrecœur. Il y en a seulement deux, selon des spécialistes :
1. Implanter un port de conteneurs en eau profonde sur le Saint-Laurent (avec une bonne connexion ferroviaire avec le Midwest), à Québec ou un peu en aval de Québec, pouvant accueillir de plus gros porte-conteneurs.
2. Construire des porte-conteneurs destinés au Saint-Laurent dotés d’une plus grande capacité, mais qui seraient capables de naviguer jusqu’au port de Montréal avec un faible tirant d’eau. Les coûts énormes et la difficulté technique de la mise en place de cette solution la rendent quasi impossible à réaliser.
Même si le déclin de la route maritime du Saint-Laurent ne fait pas la manchette, vous aurez compris que cette problématique devrait être au cœur des décisions sur l’avenir de l’agrandissement du Port de Montréal. On assistait déjà au déclin du port de Montréal, et cela avant même l’imposition des tarifs douaniers américains. Il serait pour le moins paradoxal si, dans cinq ans par exemple, après avoir détruit une des dernières forêts riveraine de la plaine du St-Laurent et une grande partie des berges, nous nous rendions compte qu’il faut de plus en plus passer par des ports américains pour vendre ou acheter des produits à l’étranger. Choisir de poursuivre la chimérique construction du port de Contrecœur compromet pour plusieurs décennies notre avenir économique.
Il n’y a pas d’ acceptation sociale, ni d’évidence économique et surtout pas d’empressement à tout détruire pour satisfaire l’intérêt de quelques-uns au détriment de la nature et du bien commun.
André Pepin, Contrecœur