C’est que malgré le fait que le policier Gérard Bouchard – blâmé à tort dans cette histoire – avait recommandé une dénonciation pour les gestes commis entre 1993 et 1995, la Couronne de l’époque avait décidé de ne pas déposer d’accusations contre le prédateur sexuel.
Les trois cas étaient pourtant similaires et commis dans la région de Sorel-Tracy. André Pépin utilisait le même stratagème pour piéger ses victimes. Il les rencontrait alors qu’ils faisaient généralement de l’auto-stop et les mettaient en confiance, avant de les droguer à leur insu pour ensuite les agresser sexuellement.
Au moment où les plaintes avaient été enregistrées, André Pépin était même connu des policiers et des instances judiciaires pour des gestes similaires commis entre 1987 et 1992. Le juge de première instance avait même évoqué un possibilité de récidive et la Cour d’appel avait revu ses sentences à la hausse, les faisant passer de neuf à 23 mois et de six à 12 mois.
Ce n’est qu’en 2013 que leurs dossiers ont été réactivés. Quand les policiers sont revenus cogner à leur porte pour savoir s’ils maintenaient leur plainte. La Sûreté du Québec avait décidé de rouvrir l’enquête, près de 20 ans plus tard, puisque des agressions suivant le même modus operandi avaient été rapportées.
Au total, huit plaignants étaient impliqués et 39 chefs d’accusation ont été déposés. André Pépin sera reconnu coupable de 29 d’entre eux, en mai 2015, au Palais de Justice de Sorel-Tracy. Un an plus tard, le juge Denys Noël lui imposera une peine de 13 ans et demi de prison.
De la négligence criminelle
Dans la demande introductive d’instance en dommages et intérêts déposée à la fin septembre, dont Les 2 Rives a obtenu copie, les demandeurs estiment que le substitut de la Procureure générale du Québec a gravement manqué à son devoir de protéger le public.
Ils font valoir qu’il a fait preuve de mauvaise foi en plus de mépriser les enquêtes de police qui recommandaient d’intenter des poursuites. Ils estiment que l’usage illégitime de son pouvoir discrétionnaire a constitué un cas manifeste d’abus intentionnel et que ses multiples fautes leur ont causé des préjudices.
« Il ne pouvait pas ignorer les conséquences probables de ses actes. Ainsi, en n’autorisant pas les plaintes recommandées par les policiers, d’autres victimes ont été agressées par André Pépin, exposent-ils. Son mépris flagrant des droits de la victime et sa conduite relève de la négligence criminelle. Parce qu’il a omis de poursuivre un délinquant alors que la loi l’obligeait à le faire, malgré tous les motifs raisonnables et probables de croire en sa culpabilité. »
Me Justin Wee, qui représente les trois plaignants, estime que la cause révèle un caractère particulier. Parce que la Couronne jouit d’une certaine immunité contre les poursuites, a-t-il expliqué en entrevue avec Les 2 Rives. « Il faut démontrer certains critères précis, souligne-t-il. Ce n’est pas comme si on poursuivait le policier. »
« Des situations où on poursuit le procureur de la Couronne, ça existe quand il y a des poursuites abusives. Tandis que là, on le poursuit pour dire qu’il n’a pas agi, alors qu’il aurait dû le faire. Il avait tout en main pour agir, et par son inaction, il y a des personnes qui ont souffert. C’est une question assez nouvelle. Ça peut faire jurisprudence », plaide l’avocat de la firme Arsenault, Dufresne, Wee.
De graves préjudices
Après avoir appris que leur plainte n’était pas retenue, les trois adolescents ont perdu confiance dans le système de justice, se sont sentis dévalorisés, ont vécu de la colère, de la rage, de la tristesse, se sont révoltés contre l’autorité. Ils ont ensuite abusé de la drogue et de l’alcool et se sont adonnés à des activités criminelles. Ils ont vécu de la dépression et ont eu des idées suicidaires.
Ils ont pris entre 5 et 15 ans à se reconstruire. Ils ont retrouvé une certaine qualité de vie se trouvant un emploi, et, dans certains cas, en fondant une famille. Puis, l’appel téléphonique des policiers les a profondément bouleversés.
Un stress post-traumatique majeur, un arrêt de travail, une perte d’emploi, une rechute de leur consommation, des problèmes familiaux, des sentiments dépressifs, des maux de tête, une perte d’appétit, des cauchemars, de l’insomnie, de l’anxiété sociale, voilà un bref aperçu de ce qu’ils ont vécu.
La poursuite tient compte des pertes de salaire, avantages sociaux ou de capacité de gains, les douleurs, souffrances, stress et inconvénients, ains que les coûts des thérapies et des médicaments pour réclamer chacun 300 000 $ à titre de dommages non pécuniaires, 300 000 $ à titre de dommages pécuniaires et 150 000 $ en dommages punitifs.