« On se retrouve aujourd’hui presque 35 ans jour pour jour après le drame de Polytechnique et on constate malheureusement que dans notre société, des féminicides – c’est de ça dont on parle – sont encore très présents pour des raisons qui, pour moi, demeurent mystérieuses. Le crime que vous avez commis est abject, d’une violence atroce, barbare », a tranché le juge Marc-André Blanchard, en condamnant François Chapdelaine à la prison à vie, sans possibilité de remise en liberté avant 18 ans.
Il s’agissait d’une suggestion commune des avocats Marieke Sabeh à la Couronne et Antoine Dubreuil en défense. « Je comprends que vous aviez de sérieux problèmes de drogue, a-t-il poursuivi. Ça peut expliquer en partie le crime que vous avez commis, mais ça ne le pardonne, ni ne l’excuse d’aucune façon. »
Rappelons que l’homme de 37 ans faisait face à un chef d’accusation de meurtre au premier degré et son procès devant jury devait avoir lieu au printemps 2025, mais il a coupé court aux procédures en plaidant coupable pour meurtre au deuxième degré. Il a aussi plaidé coupable à un chef d’incendie criminel.
Désorganisé et paranoïaque
Selon le récit des faits lu en cour, Audrey-Sabrina Gratton et François Chapdelaine se fréquentaient à l’été 2022. En juillet, ils ont mis fin à leur relation à quelques reprises, Chapdelaine ayant un comportement « erratique, désorganisé et paranoïaque » étant donné sa consommation excessive de stupéfiants, particulièrement de crack. Il a d’ailleurs été hospitalisé à l’été 2022 en raison de comportements suicidaires et d’une psychose due à la consommation. C’est alors qu’Audrey-Sabrina Gratton a coupé les ponts avec François Chapdelaine, allant jusqu’à bloquer son numéro de téléphone.
Le soir du drame, le 31 juillet 2022, Chapdelaine a demandé à un ami « s’il a du tape pour attacher [la victime] pendant qu’il lui parle ». Il a aussi rempli des bidons d’essence qu’il a laissés dans sa voiture.
Tard en soirée, Chapdelaine s’est présenté chez son ex et le voisin du jumelé a entendu du vacarme. La victime a alors envoyé des textos à son amie en lui disant : « Il est devant ma porte, câlice, il veut régler ça ». Elle a appelé un autre ami en lui disant, en panique : « Viens-t’en, y’é en train de défoncer la porte, y’é fou ».
Le voisin a ensuite entendu la porte se faire défoncer et François Chapdelaine dire : « c’est moi le malade » à deux reprises, tandis que la victime lui répétait d’arrêter. Il a par la suite entendu un gros « boum », puis plus rien. Il a vu un nuage de boucane et la porte de la victime ouverte. L’accusé était dans la rue et « criait comme un perdu, visiblement brûlé sur une bonne partie de son corps ».
Chapdelaine s’est ensuite enfui en voiture chez un ami qui habite en proximité et, en entrant, a crié : « J’ai essayé de rester avec elle, c’était chaud, ç’a brûlé avec le gaz, j’me suis sauvé par la fenêtre. J’ai mis le feu, j’ai mis le feu chez Sab, je ne savais pas que ç’allait sauter de même ».
La cause du décès d’Audrey-Sabrina Gratton est l’inhalation de fumée et son corps était brûlé à 95 %.
Un témoignage poignant
Courage. C’est le mot qui ressort du témoignage de Trinity Gratton-Thériault, la fille d’Audrey-Sabrina Gratton, qui s’est livrée à cœur ouvert devant la cour.
« À 23 ans, de devoir lire un message pour exprimer comment je me sens après avoir perdu ma mère à cause d’un geste délibéré par un homme violent […], je ne crois pas qu’il existe des mots assez forts pour décrire la situation dans laquelle je suis », a-t-elle débuté, la voix tremblotante.
La jeune femme a pris son courage à deux mains et a livré un témoignage poignant. « J’ai perdu mon père à 19 ans et un an plus tard, il m’a enlevé ma mère. Il m’a enlevé la dernière personne qui aurait sacrifié sa vie pour moi. […] J’ai perdu ma mère de la façon la plus atroce qu’on puisse imaginer. Ce n’est pas juste un coup de fusil les yeux fermés, c’est de la torture de brûler quelqu’un vivant. Je vais vivre avec un traumatisme toute ma vie parce qu’un moins que rien a décidé de faire l’impardonnable. »
Ensuite, Tritiny s’est adressée directement à l’accusé : « Tu m’as enlevé mon dernier pilier qu’il me restait sur cette terre. Tu as enlevé la fille unique à ma grand-mère et mon grand-père. As-tu pensé qu’un jour, qu’une de tes filles pourrait être victime d’un homme comme toi? Imagines-tu quelqu’un qui aurait brûlé vivante une de tes deux filles? As-tu pensé que tu enlevais la fille d’un père, la fille d’une mère, la mère de quelqu’un? As-tu pensé à tes filles avant de vider un bidon d’essence sur ma mère? »
Coïncidence atroce, Trinity travaillait à l’Hôtel-Dieu de Sorel le soir du drame. Elle a vu François Chapdelaine arriver, brûlé. Il criait de douleur. « Je n’avais aucune idée de ce que tu venais de subir et que tu venais de faire subir la même chose à ma mère, sauf qu’elle avait perdu la vie. Sans le savoir, j’aidais les infirmières à s’occuper de toi. Sans le savoir, j’aidais les infirmières à soigner l’homme qui venait volontairement d’enlever la vie à ma mère. […] J’espère qu’aujourd’hui, ma mère va enfin pouvoir reposer en paix. »
Appelé par le juge Marc-André Blanchard à parler une dernière fois avant de prendre le chemin des cellules, François Chapdelaine, qui n’a montré aucune émotion lors des témoignages, a refusé de le faire. « Je crois qu’il aurait été à propos d’exprimer peut-être une certaine empathie à l’égard des victimes, mais c’est votre droit de ne pas le faire », a mentionné le juge, tout en lui souhaitant de régler ses problèmes lorsqu’il sera incarcéré.
« La seule chose que je peux vous dire, M. Chapdelaine, c’est que vous allez pouvoir bénéficier, en prison, de programmes où vous allez pouvoir travailler sur vous, sur votre colère interne. […] Je vous encourage à suivre tout traitement, toute formation qui va vous permettre de venir une meilleure personne et d’évacuer cette haine, cette colère, cette vengeance qui vous a mené à poser l’irréparable », a-t-il conclu.