10 avril 2024 - 07:00
Johanne Lapointe a toujours voulu le rencontrer, sans succès
Une femme adoptée a vécu à cinq maisons de son père biologique sans le savoir
Par: Jean-Philippe Morin

Johanne Lapointe, qui vit aujourd’hui en Estrie, aurait aimé rencontrer son père biologique avant sa mort. Photo Jean-Philippe Morin | Les 2 Rives ©

Johanne Lapointe et son fils Charles, qui ressemble grandement à René Leblanc. Photo gracieuseté

René Leblanc, qui avait à peu près le même âge que le fils aîné de Johanne, Charles. Photo gracieuseté

Adoptée dès l’âge de 2 mois, Johanne Lapointe a vécu une belle enfance en Estrie. Après avoir entrepris des démarches pour connaître ses parents biologiques, elle a découvert que son père, qui n’a finalement jamais voulu la rencontrer, a déjà habité à environ cinq maisons d’elle, sur le chemin des Patriotes à Sorel-Tracy.

Johanne Lapointe pourrait écrire un livre avec son histoire, mais elle a plutôt choisi de nous la raconter. « J’ai vécu une enfance des plus heureuses. Mes parents adoptifs m’ont inculqué de belles valeurs. Ils ne m’ont jamais caché que j’ai été adoptée, mais je ne savais pas qui étaient mes parents biologiques », commence la femme aujourd’hui âgée de 55 ans.

L’adolescence passe, puis en 1992, alors qu’elle est âgée de 24 ans, Johanne ressent le besoin de connaître d’où elle vient. Elle écrit alors aux services sociaux de Sherbrooke, où on l’informe que sa mère s’était remariée et avait eu deux garçons après l’avoir mise en adoption. « J’ai rempli les documents et peu de temps après, on m’a rappelée pour me dire qu’elle n’était pas prête à me parler. J’ai trouvé ça difficile. Pour moi, c’était comme un deuxième rejet », raconte-t-elle.

L’année suivante, en 1993, Johanne achète une maison au 53, chemin des Patriotes à Sorel avec son conjoint de l’époque. Ils ont deux enfants à cet endroit, Charles né en 1996 et Renaud en 1999. « L’adresse 53 est importante dans l’histoire », insiste-t-elle.

Entretemps, elle continue ses démarches auprès de sa mère biologique. Elle lui écrit d’ailleurs une lettre en 1996 qui reste sans réponse. Plus tard, elle apprendra qu’elle ne s’est jamais rendue à destination.

En 2002, celle qui a été dans les Forces armées canadiennes pendant 24 ans revient d’une mission en Bosnie. S’en suit un divorce et Johanne déménage à l’extérieur de la région, tandis que son ex-conjoint et ses deux enfants restent à Sorel-Tracy. Ceux-ci quitteront finalement la région en 2012 et iront vivre avec Johanne après avoir fait leurs études dans la région.

Test d’ADN

En 2017, Johanne décide de faire un test d’ADN avec Ancestry afin de connaître ses origines. Grâce aux informations non confidentielles datant de 1992 qu’elle a sur sa mère biologique, elle réussit à avoir un nom : Manon Bonsant.

En fouillant dans l’arbre généalogique, elle trouve France Bonsant, une ancienne députée fédérale. Elle la contacte et lui demande que Manon la rappelle. « Je lui dis : le 28 juillet 1968 [la date de naissance de Johanne], ça te dit quelque chose? Elle semblait mal à l’aise puisqu’elle n’en avait même pas parlé à son conjoint. Elle m’a répondu qu’elle savait que j’allais appeler un jour. Tout de suite, je lui dis que je ne veux pas d’argent, pas de trouble. Que je veux juste la rencontrer et lui présenter mes deux enfants. »

Finalement, en juin 2018, une réunion familiale a lieu dans un chalet et Johanne y est invitée. Elle rencontre alors la famille Bonsant, avec qui elle développe un lien très fort. « C’était comme si j’ai toujours fait partie de la famille », insiste-t-elle.

À cinq maisons

C’est alors que Johanne apprend le nom de son père biologique : René Leblanc. « Avec Ancestry, ç’a pris cinq minutes et j’ai appris… qu’il habitait au 35, chemin des Patriotes à Sorel-Tracy. »

Retour en arrière. Vous vous rappelez de l’adresse où a habité Johanne Lapointe à Sorel de 1993 à 2002? Le 53, chemin des Patriotes. « J’ai lâché un cri! J’ai fait… Quoi? Pincez-moi quelqu’un… C’est quoi les chances? 35, 53, les chiffres inversés! Mon père habitait à carrément cinq maisons de chez moi. Je n’en revenais pas… »

Aussitôt qu’elle a su cette information, elle a pris la route vers Sorel-Tracy dans l’espoir de le rencontrer. Elle a cogné au 35, chemin des Patriotes, ne sachant pas qu’il avait déménagé ailleurs à Sorel-Tracy. Elle lui a ensuite téléphoné.

« Aussitôt que je lui ai parlé de Manon Bonsant, il m’a répondu qu’il ne la connaissait pas. Il voulait raccrocher, alors je lui ai tout vomi ce que je savais! Je lui ai juste dit que je voulais 15 minutes de son temps, je voulais lui montrer la photo de mon fils Charles qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Mais il n’avait pas de place pour moi dans sa vie », regrette-t-elle.

Johanne a tout de même persévéré et elle a contacté le frère et les sœurs de René, avec qui elle a une très belle relation. « J’ai de belles relations avec toute la famille, mais je n’ai jamais rencontré mon père. Sans embarquer dans les détails, c’était pour des raisons personnelles. Au moins, il m’a dit une fois au téléphone : «J’te connais pas, je sais que je t’aime«. »

Une démarche thérapeutique

René Leblanc est décédé le 15 février dernier, à l’âge de 78 ans. Deux semaines avant sa mort, elle a, pour une dernière fois, tenté de le rencontrer. « Je lui ai dit que mes fils voulaient vraiment le rencontrer, mais il m’a dit qu’il voulait vivre sa fin de vie en paix et il m’a demandé de respecter ça. Ça m’a fait de la peine, mais j’ai respecté ça. »

Johanne Lapointe, avec l’accord de Gertrude et Michel Leblanc (le frère et la sœur de René), a voulu raconter son histoire pour deux raisons.

« Premièrement, j’ai l’impression que ma voix de petite fille n’a jamais été entendue. Celle de mon père non plus. Il n’a eu aucune cérémonie en sa mémoire, je n’ai donc même pas pu célébrer sa vie en public. Deuxièmement, c’est pour montrer que des histoires d’adoption, il y en a des belles et des moins belles. Pour moi, c’était vraiment parfait, j’ai eu une famille aimante, mais je n’ai pas pu voir mon père », conclut-elle.

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