21 mai 2024 - 08:10
[OPINION DU LECTEUR] La pédopsychiatre au CISSSME : un feuilleton kafkaïen déconcertant
Par: Deux Rives

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Tout régime autocratique conduit à l’abus et la folie délirante. J’ai pratiqué pendant 42 ans en cabinet comme pédiatre à Sorel-Tracy dont 25 ans en parallèle à l’Hôtel-Dieu de Sorel avant 2001. Les enfants et adolescents porteurs de différentes problématiques en santé mentale représentaient environ 20 % de ma clientèle. Tout au long de ma carrière, j’ai dû diriger quelques centaines de jeunes en pédopsychiatrie. Comme leurs conditions ne correspondaient pas nécessairement et majoritairement à une urgence vitale, je me pliais volontiers, comme le faisaient d’ailleurs les parents, au long délai incontournable d’une première rencontre en pédopsychiatrie, une denrée de tout temps rarissime en milieu régional au Québec comparativement aux grands centres urbains tels qu’à Sainte-Justine.

Voilà que notre seule et unique pédopsychiatre à Sorel-Tracy en la personne de la Dre Camille Guillemin se retrouve elle-même victime de notre propre système de santé publique en perte de vitesse. La cause : un tour de garde les week-ends non pas à Sorel-Tracy, mais bien à Saint-Hyacinthe ou si l’on préfère une bipolarité géomédicale de la garde en établissement. Mes collègues pédiatres de l’époque et moi avons vécu personnellement, en 2003, une situation relativement comparable en pédiatrie dans la région de Lanaudière. On ne parlait pas entre nous d’une transplantation progressive en douceur. Heureusement qu’elle n’a duré que six mois!

Mais nous le constatons de nos jours, en matière de solution à la pénurie de personnel en santé, le nouveau modus operandi de nos hauts dirigeants du ministère se nomme « LA FLEXIBILITÉ ». C’est-à-dire faire en sorte de soumettre par toutes sortes de combines les professionnels(les) en soins afin qu’ils (elles) puissent répondre aux besoins d’une population grandissante au sein d’un système de santé en manque chronique d’effectifs. Loin d’étonnant que nous assistons ces temps-ci à une réaction en chaîne de la part du personnel infirmier en place un peu partout au Québec qui n’adhère pas tous azimuts à ces nouvelles directives de mobilité.

Les conséquences imaginables pour notre seule pédopsychiatre comprennent la surcharge de travail vis-à-vis une population infantile élargie à desservir, l’écartèlement entre deux équipes de soins (psychologues, psychoéducateurs, travailleurs sociaux) pas nécessairement similaires, un trajet périlleux sans autoroute sécuritaire lors des déplacements entre Sorel-Tracy et Saint-Hyacinthe par les journées de tempête hivernale et finalement le profond sentiment ressenti d’une impasse pérenne quant au recrutement de nouvelles figures œuvrant dans la même discipline au bénéfice des jeunes. En quelque sorte, on veut déshabiller Jacques pour habiller Pierre. Après avoir pris la peine, il y a plusieurs années, de recruter puis de permettre à un médecin étranger, en l’occurrence ici d’origine française, de s’installer et de pratiquer au Québec dans son domaine, voilà que ce même système lui crée des conditions de pratique bicéphales où elle n’a d’autre choix que de devoir quitter. Quelle aberration! Il faut bien comprendre que notre région par ricochet, à la suite de son départ, va non seulement appauvrir l’offre de services auprès de la jeune clientèle, mais en plus va récolter une mauvaise presse relativement au recrutement futur en pédopsychiatrie, ce qui risque d’aggraver le problème.

Les pédiatres ne peuvent pallier en tout point ce vide non comblé en médecine spécialisée. Une missive à cet effet émanant des responsables de l’Association des Pédiatres du Québec et émise en date du 4 juin 2021 mentionnait que « les patients avec des pathologies psychiatriques franches ou complexes telles qu’entre autres idéation ou tentative suicidaire, psychoses, etc., devraient être évalués par le psychiatre de garde… d’autant que notre spécialité ne doit pas laisser ses fondations être façonnées par les pénuries, les croyances ou les carences régnantes au cœur du système de santé. » En d’autres termes, notre modeste contribution a ses limites.

On adresse bien des pétitions et on organise à l’occasion des marches en ville au bureau de notre député pour obtenir des équipements médicaux essentiels à notre hôpital local. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour retenir les services de notre seule et unique pédopsychiatre dans notre région? L’idée est lancée. Toute la population serait invitée à y participer, y compris bien entendu nos éminents journalistes… Lorsque nous possédons des perles, nous en prenons soin.

Dr Michel Robitaille, m.d.
Pédiatre retraité
Sorel-Tracy

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